L’État et la culture

Rapide parcours des rapports entre l’État et la culture
Fiche synthèse  réalisée à partir de :

  • Les politiques culturelles en France, textes rassemblés  par Philippe Poirrier – La Documentation française – 2002.
  • L’invention de la politique culturelle, de Philippe Urfalino – Hachette Littératures – 2004.
  • « Les politiques culturelles : évolution et enjeux actuels », par Quentin Fondu et Margaux Vermerie – Informations sociales, n° 190 – 2015.

Si l’expression de « politique culturelle » est relativement récente (Vème République), l’action de l’État en matière culturelle est un fait qui s’inscrit dans la tradition de l’histoire nationale, et fonde l’idée d’une exception française… Ce rapide parcours non exhaustif tend à cerner comment les évolutions se sont faîtes et comment l’idée de politique culturelle a pris forme au cours de ces dernières décennies.

1.  Le temps des Beaux-Arts et du patrimoine (1800 – 1936)

Durant le XIXème siècle, une lente organisation se met en place, axée principalement autour des Beaux Arts et de la préservation du patrimoine :

  • réorganisation de l’administration des Beaux-Arts (1816) ;
  • principe de gestion du patrimoine national posé avec la création de l’inspection générale des monuments historiques (1830) ; c’est Prosper Mérimée qui crée la notion de  patrimoine.
  • logique de « culture académique » prônée par l’Institut de France (réformé en 1816) exerçant une tutelle de fait sur l’École des Beaux-Arts (au moins jusqu’en 1863) ;
  • velléité non aboutie par deux fois d’organisation d’un ministère des Arts (1870 puis 1881) ;
  • création d’un « Conseil supérieur des Beaux Arts » (1875) médiateur entre le pouvoir politique, les structures administratives, l’opinion publique et le parlement, représentatif du monde artistique.

Les arts et la culture sont considérés durant cette longue période comme un facteur d’identification fort et comme un élément de cohésion sociale non négligeable, ce qui justifie l’idée d’un soutien constant de la part des pouvoirs publics. Cependant, si l’on perçoit de nettes velléités politiques pour donner cohérence à ce secteur, durant un siècle et demi, les compétences vont rester éclatées dans différentes administrations et aucune connexion ne sera établie entre les différents services…

2. 1936, l’éducation populaire

L’arrivée au pouvoir du Front Populaire entraîne la mise en place de nouveaux rapports entre l’État et la culture. L’enjeu est de construire une réplique démocratique à l’embrigadement de la culture par les régimes totalitaires voisins. La volonté de populariser la culture est par ailleurs très étroitement liée à la politique des loisirs prônée par le nouveau gouvernement.

Faire pénétrer la culture artistique et technique dans les foules populaires qui en furent trop longtemps privées.  Georges Huisman, Directeur des Beaux Arts, 1937.

Cependant, ni le projet de ministère de l’art français ni celui de la vie culturelle (à un moment esquissés) ne pourront aboutir. Par contre, cette période va être le creuset de « l’éducation populaire » et la mise en place d’un vaste mouvement associatif dynamisé par la « politique de la main tendue » privilégiée par les communistes. La thématique antifasciste de la « défense de la culture » est alors fortement mobilisatrice.« Plus que la mise en forme d’une politique culturelle, cette conjoncture particulière permet une convergence sans précédent entre mouvements culturels… intellectuels mobilisés… et représentants des institutions d’État » (Vincent Dubois, La politique culturelle, genèse d’une catégorie d ‘intervention publique, Belin, 1999)

3.  Immédiate après-guerre : la culture, le parent pauvre (1944 – 1959)

Si la Charte du Conseil national de la Résistance (mai 1944) pose le principe d’une démocratisation de la culture, elle reste très imprécise quant à la politique à mettre en œuvre pour une diffusion démocratique de la culture. Et même si la constitution de la IVème République garantit « l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture », cette dernière va rester le parent pauvre des politiques jusqu’en 1958.En août 1945, la création d’une Direction Générale des Arts et Lettres au sein du Ministère de l’Éducation Nationale va permettre cependant un renforcement administratif et un rapprochement des services. Même si le fonctionnement se fait avec peu de moyens, commencent à apparaître des axes politiques marqués : ainsi la politique théâtrale de Jeanne Laurent pose les bases d’un renouveau. Les cinq troupes de la décentralisation théâtrale et le TNP de Jean Vilar vont incarner un « service public » culturel pouvant s’appuyer sur les réseaux militants de l’éducation populaire qui militent pour la reconquête des publics populaires et associent étroitement création, diffusion, réception des œuvres.On notera parallèlement le développement des mouvements d’éducation populaire avec Peuple et Culture et les mouvements catholiques comme le MRJC. Cependant, le creuset de l’éducation populaire va être fragilisé durant la guerre froide et connaître des dissensions fortes ne favorisant pas l’émergence de rapports de force pour imposer une réelle politique culturelle. La situation va perdurer jusqu’à la mise en place de la Vème République.

4.  L’invention de la politique culturelle (1959 – 1969)

En 1959, la nomination d’André Malraux, ministre d’État, chargé des affaires culturelles, crée une première avec une qui se démarque des attributions jusqu’alors dévolues aux autres services jusqu’alors s’occupant de culture :

Le ministère chargé des Affaires culturelles a pour de rendre accessible les œuvres capitales de l’Humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent

La mise en place de ce ministère introduit « une triple rupture : idéologique, avec l’affirmation au niveau de l’État, d’une philosophie de l’action culturelle ; artistique, avec le façonnage d’un secteur artistique professionnel subventionné induit par le soutien sélectif du ministère ; administrative, avec, outre l’autonomie budgétaire, la formation d’un appareil administratif et l’invention de modes d’actions spécifiques.

Philippe Urfalino.

Premier fait notable, la culture intègre pour la première fois les plans quinquennaux de modernisation économique et sociale. Ainsi, dans le cadre de la préparation du IVème Plan (1962-1965), une Com de l’équipement culturel et du patrimoine artistique est instituée. L’insertion au sein du Plan conduit également à une organisation territoriale du ministère : février 1963, création de comités régionaux des affaires culturelles, amorce d’une première déconcentration du ministère.Afin de trouver sa place, le nouveau ministère va devoir se positionner en terme de compétences avec l’Éducation Nationale dont il est issu, mais aussi avec le Secrétariat aux Beaux-Arts qu’il remplace, et, de manière plus politique, avec le Haut Commissariat à le Jeunesse et aux Sports…

Dans la société contemporaine, trois domaines apparaissent nettement, trois domaines auxquels on est tenté d’identifier cette notion de culture : celui de l’enseignement scolaire et universitaire ; celui du divertissement dans lequel nous voyons l’État soutenir certains spectacles ou diriger ce que l’on appelle les loisirs ; celui de la création artistique qui relève de l’individu, mais dans lequel l’État ne peut marquer d’intervenir à quelque degré, soit qu’il se contente d’honorer la création libre soit qu’il tente d’en contrôler et d’en diriger le jeu. Si, comme je le crois, la création d’un ministère de la Culture est pleinement justifiée, c’est qu’il existe un domaine essentiel qui n’est ni enseignement, ni divertissement, ni création artistique.

Gaëtan Picon (responsable de la Direction Générale des Arts et des Lettres) – La culture et l’État.

Ainsi, la démocratisation culturelle souhaitée va-t-elle passer non pas par une éducation spécifiquement culturelle, ou par l’apprentissage des pratiques artistiques, mais par la mise en présence de l’art, des œuvres comme des artistes, et des publics qui n’avaient pas l’habitude d’une telle rencontre. Et la notion d’accès à la culture va rejeter toute idée de médiation ou de pédagogie. Par étapes successives, les amateurs et plus généralement les mouvements d’Éducation Populaire vont être mis de côté et confiés aux soins du Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports, marquant pas à pas la différence entre logique culturelle et logique d’éducation populaire. De plus, la remise en cause de l’académisme et le soutien aux courants d’avant garde vont marquer de manière irrémédiable la rupture avec la politique des Beaux-Arts connue auparavant.

Petit à petit, les grands axes de la nouvelle politique se définissent, jouant sur les différents niveaux de compétence du ministère :

  • la protection du patrimoine (avec en particulier l’inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France),
  • la création contemporaine et le soutien des artistes, le théâtre demeurant l’un des domaines privilégiés de l’intervention de l’État (avec une augmentation notable des crédits attribués à la décentralisation théâtrale et au TNP de Jean Vilar),
  • le cinéma, avec le rattachement du CNC au ministère, ce qui conduit une nouvelle logique d’intervention de l’État et la création en 1961 de la catégorie des salles d’art et d’essai,
  • le contact entre public et chefs d’œuvre, avec le projet de vingt maisons de la culture programmées dont seules huit verront le jour avant le départ en 1969 de Malraux…

Le projet des maisons de la culture va donner sans doute l’orientation la plus lisible de la politique culturelle que le ministère veut installer. C’est avec ce projet qu’il va être possible de positionner clairement l’action du ministère et de marquer la différence face à l’action menée par les mouvements d’éducation populaire.

« La maison de la culture est naturellement le lieu des échanges et des rapprochements des éléments locaux entre eux, des manifestations artistiques à caractère professionnel entre elles… mais il convient tout de suite de préciser que si la maison de la culture doit aimer accueillir ceux qui tentent heureusement de rivaliser avec les professionnels, elle doit tout autant redouter de devenir le seul et exclusif domaine de l’amateurisme… Ces différents principes conduisent également à énoncer ce que la maison de la culture ne peut pas être : elle ne peut être un abri indifférent pour servir de siège social aux associations locales, elle ne peut être seulement un lieu de préparation, de répétition ou de confection systématique pour les groupements d’amateurs, non plus qu’un terrain de bricolage, elle ne peut pas être une simple salle des fêtes… »

André Malraux

Et avec les maisons de la culture, c’est tout le positionnement du ministère qui est en jeu avec les deux problèmes auxquels il va se confronter :

  • celui de la relation complémentarité-concurrence entre maison de la culture et MJC,
  • celui de l’utilisation des associations et des fédérations d’associations culturelles à la charge conjointe ou séparée du nouveau ministère et du Haut Commissariat.

5.  Changement de vocable : le développement culturel (1969 – 1981)

De Gaulle avait laissé à Malraux une très large liberté d’action. Pompidou et Giscard d’Estaing vont davantage peser sur les orientations de la politique culturelle. Ainsi, dès son élection, Pompidou fixe les projets qui doivent marquer son septennat : il souhaite redonner à Paris son rôle de carrefour international dans les domaines culturels et artistiques, et l’exemple du Centre national d’art et de culture installé à Beaubourg marque bien cette ambition :

« Nous avons un ministère des Affaires culturelles, et il est normal que je suive son action comme celle des autres. Mais pour moi, l’art n’est pas une catégorie administrative. Il est le cadre de vie ou devrait l’être… Quant à parler de ligne politique, il n’y a, croyez le, aucune arrière-pensée… La France se transforme, la modernisation, le développement dans tous les domaines sont éclatants. Pourquoi n’y aurait-il pas un lien avec les arts ?… »

interview de Pompidou au Monde – 17.10.1972.

Dans le même temps, l’idée « d’action culturelle » dans le discours est abandonnée au profit de la notion de « développement culturel ». Cette dernière va devenir un des volets importants du discours sur la « société nouvelle » de Chaban-Delmas ; et le changement de vocable marque la différence, installant là une autre approche de la politique à mettre en œuvre.

Ce changement va prendre pour appui le rapport du Vème Plan (1971), lequel enregistre l’échec de la démocratisation culturelle et souligne la faiblesse des moyens du ministère. Le concept de développement culturel tend à répondre à cet échec, avec un effort de modernisation et une nouvelle approche cassant les frontières séparant la culture de l’éducation, de la connaissance et de la science :

« La culture est le biais par lequel s’opère la communication, non seulement avec le passé, mais avec le contemporain, non seulement avec les disciplines traditionnelles littéraires ou artistiques, mais encore avec les disciplines scientifiques et techniques, car la culture ne doit pas ignorer ces domaines. »

Jacques Duhamel

Ainsi, si la nouvelle politique ré-insiste sur la nécessité de « rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité », elle se démarque de ce qui avait été fait jusqu’alors, en montrant les limites et en pointant les tendances élitistes de l’action passée. De plus, le développement culturel, même s’il s’inscrit dans une logique de protection et de création, va élargir le champ d’action de la politique culturelle à l’amélioration des conditions de vie, à la vie culturelle primaire (englobant l’architecture, le design, l’environnement naturel, les média, la publicité) et la création spontanée et populaire. La rupture est ainsi importante.

Enfin, fait important, avec Duhamel, c’est aussi l’invitation faîte aux collectivités locales d’intervenir de manière forte dans le domaine culturel :

« Telle est la noblesse de ce ministère : il est au service permanent de la culture plus qu’il n’est un service public de la culture. Il s’ensuit un certain nombre de comportements à l’égard des collectivités locales. L’expérience m’en a donné la conviction : c’est avant tout dans son milieu naturel, c’est-à-dire la ville, le département, la région, que l’exigence de culture s’enracine et se développe… L’action culturelle doit d’abord reposer sur des réalités locales et donc revêtir des formes variées. »

Jacques Duhamel, 1971

Ainsi, s’appuyant sur les constats, l’équipe de Jacques Duhamel va s’orienter sur trois pistes :

  • le maintien des maisons de la culture en exercice ou en projet,
  • le renforcement de l’implantation des Centres d’animation culturelle (permettant de prendre en compte les besoins des villes moyennes et petites),
  • et l’invention, dès 1972, d’un nouveau type d’équipements qualifiés (polyvalents, sportifs, éducatifs et socioculturels) financés par le ministère à concurrence de 25%. Cette nouveauté permet de croiser le souci de l’action interministérielle et celui du besoin des petites villes en matière d’équipements culturels.

La municipalisation de la culture va alors bon train, prenant le relais d’un État parfois défaillant. Ainsi, en 1981, l’ensemble des communes françaises dépense davantage que l’État pour la politique culturelle : entre 1978 et 1981, les villes de plus 10.000 habitants enregistrent une augmentation de 84% de leurs dépenses culturelles, et la part du budget municipal consacré à la culture atteint les 8,7%…

6. Intervention et décentralisation (1981 – 1993)

L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 suscite une embellie pour la politique culturelle. Celle-ci, forte du soutien du président de la république, voit sa place confortée au sein des priorités gouvernementales avec le doublement du budget en 1982.

Mais au-delà du foisonnement d’idées et de moyens, ce qui devient important, c’est le fait que le mot culture, dans les propos des hommes politiques comme dans les écrits d’une partie des journalistes, semble pouvoir être associé à tous les aspects de la vie sociale et englobe nombre d’actions du nouveau gouvernement.

Le décret du 10 mai 1982 infléchit ainsi considérablement les s du ministère de la culture. S’il garde toujours l’esprit de Malraux, il s’ouvre à de nouvelles orientations : le libre épanouissement individuel par la création mais aussi la reconnaissance de pratiques culturelles jugées jadis comme mineures : le jazz, le rock, la BD, la mode, la gastronomie, le rap, le tag…

« Mettre la culture au pluriel et au quotidien, c’est donner à des groupes ou à des catégories sociales qui ne se reconnaissent pas dans la culture cultivée le moyen d’affirmer leur identité culturelle, et par là d’apporter leur propre contribution à une culture nationale débarrassée de tout préjugé hiérarchique, respectueuse du droit à la diversité. L’intervention de l’État dans ce champ est nécessaire et délicate. »

Rapport du commissariat du Plan, novembre 1982.

Un autre aspect important à retenir de cette période est la politique de décentralisation et de déconcentration qui se met en place. L’État s’affirme de plus en plus en tant que partenaire dans le même temps où les collectivités locales se dotent de véritables politiques culturelles.Ainsi, les années Lang ont permis une formalisation des DRAC qui conduisent en région la politique de l’État et jouent le rôle d’expertise reconnu auprès des collectivités locales. Mais, dans le même temps, les institutions de la décentralisation culturelle vont obliger les mairies à négocier avec le ministère des affaires culturelles et à réfléchir sur l’ensemble de leurs actions dans ce domaine. Les programmes d’action successifs de l’État ont ainsi multiplié les négociations avec des villes : création de CAC, de centres culturels et initiation de programmes ville/État définissant des axes à privilégier.

Enfin, autre donnée à retenir, la synergie posée entre culture et économie. Le discours que prononce Lang en 1982 à Mexico stigmatise ainsi  les liens très étroits qui existent entre culture et économie en particulier concernant les industries culturelles américaines. L’action de l’État en faveur de la culture avait jusqu’alors pour objectif de lutter contre les effets des forces économiques ; en 82, avec l’égalité posée entre les deux termes, l’objectif change totalement. Et les implications vont largement dépasser les effets des mesures défensives contre les majors américains. On parle dorénavant d’économie de la culture comme composante du développement économique. La culture est considérée aussi comme un produit culturel non seulement produit par les industries culturelles mais aussi dans le domaine du spectacle vivant.

Le soutien aux industries culturelles confère ainsi à la politique culturelle une dimension de politique économique et industrielle sur lequel il convient de réfléchir :

« Première réalité : la création culturelle et artistique est victime aujourd’hui d’un système de domination financière multinational contre lequel il faut s’organiser. Deuxième réalité, apparemment contradictoire avec la première, paradoxalement, c’est la création, l’innovation artistique et scientifique qui permettront de vaincre la crise internationale. »

Jack Lang, Conférence de l’Unesco, Mexico, 1982.

Dès 1985, la stagnation du budget et les désillusions politiques laissent entrevoir l’écart entre la multiplication des mesures et la minceur de leur impact sur la population.

7. Politique culturelle et fracture sociale (1993 – 2002)

Après les élections de 93, la pratique ministérielle impulsée par J. Toubon va s’inscrire plus ou moins dans les pas de son prédécesseur, et le débat à l’automne 93 autour de l’exception culturelle va permettre de forger un consensus assez large sur la défense de la spécificité culturelle (et ainsi renforcer l’idée que culture et économie doivent être étroitement associées).

Le retour de la droite s’inscrit donc dans la continuité même si l’heure n’est plus à l’embellie financière ni à la priorité gouvernementale.

« La culture n’est pas l’art, l’art est création individuelle, expression personnelle. Il n’est pas la culture, il n’en est que l’objet. De l’art, de sa définition, de son orientation, la politique ne saurait se mêler… De la culture, au contraire, comme expression d’un patrimoine et de valeurs collectives, comme mémoire d’une nation, la politique peut et doit s’occuper. La culture, par nature, est fait social qui justifie l’intérêt public… D’abord mettre l’accent sur la décentralisation des actions et sur ce qui est convenu d’appeler l’aménagement culturel du territoire… Dans le même esprit, j’ai lancé le débat sur la contribution des nouvelles technologies à la culture…C’est encore la même démarche qui justifie l’orientation nouvelle donnée pour renforcer l’économie du secteur de la culture… Ensuite améliorer l’administration de la culture, la gestion des grands établissements et des projets d’envergure… Enfin, c’est le sens de la priorité donnée à l’éducation artistique… La culture n’est accessible à tous qu’à la condition que tous aient eu la chance d’être éveillés à elle et de recevoir le dépôt de cette étincelle… »

Jacques Toubon, dans la Revue des deux mondes, novembre 1994.

Les années qui suivent s’inscrivent dans la même logique : consacrer 1% du budget de l’État à la culture, développer les enseignements artistiques, vecteurs d’une culture pour tous et surtout conforter le partenariat avec les collectivités locales dans le cadre d’un nécessaire aménagement culturel du territoire.

Ce dernier aspect sera renforcé après la publication en 96 du rapport Rigaud qui réaffirme la légitimité du service public de l’action culturelle et propose une réflexion sur les liens entre culture et fracture sociale.

Dès 96, alors que Douste-Blazy a la charge du ministère, la rationalisation budgétaire laisse planer quelques inquiétudes. Les artistes et les institutions menacés hissent la revendication du fameux 1% en un rempart contre la barbarie intérieure (Front national) et extérieur.

Le retour de la gauche ne va pas modifier la logique développée, mais va introduire une modernisation de l’appareil administratif avec le regroupement de différentes directions autour de « pôles » structurants et complémentaires : le patrimoine et le spectacle vivant par exemple.Par la suite, les ministres successifs, Tasca, Trautmann, Aillagon vont être plus économes de leur parole, jouer sur une médiatisation moins importante et proposer un discours plus technique…

8. Les industries culturelles à l’assaut du marché de la culture (2002 – 2017…)

« Cette traversée historique dans les méandres de l’institutionnalisation et des ambitions successives des politiques culturelles nous amène à déplorer la perte progressive du rôle accordé à la culture. Ainsi, bien que l’idéal de la décentralisation culturelle soit en partie « achevé » (Urfalino, 2004, p. 366), les discours affirmant l’« échec de la démocratisation culturelle » tendent à occuper une part de plus en plus importante dans le débat public. Portés par les industries culturelles, qui leur permettent d’assimiler culture et culture de masse, ces discours se retrouvent désormais dans l’ensemble du champ politique. Même le parti socialiste tend désormais à abandonner les prérogatives étatiques à la loi du marché. En effet, malgré l’annonce faite par Manuel Valls en juillet 2014 d’une sanctuarisation du budget du ministère de la Culture jusqu’en 2017, les budgets culturels des villes et des départements subissent de plein fouet la baisse globale des dotations de l’État aux collectivités. Alors que le discours néolibéral et la soumission aux impératifs économiques semblent avoir eu raison de l’ambition des politiques culturelles, peut-on encore revendiquer l’existence d’une « exception culturelle française », promue successivement par André Malraux et Jack Lang ? »

Quentin Fondu & Margaux Vermerie (2015).

Les politiques culturelles : évolution et enjeux actuels. Informations sociales, 190, 57-63.

https://doi.org/10.3917/inso.190.0057

9. En final, quelques réflexions proposées par Philippe Urfalino (2004)

« A sa naissance, l’existence du ministère a été justifiée par une de démocratisation culturelle qui distinguait sa tâche de celle des autres administrations. Le soutien financier aux artistes et aux institutions artistiques étaient un instrument de la politique de démocratisation. La politique culturelle inventée ne pouvait se réduire à ce soutien financier sous peine de faire de la nouvelle administration un secrétariat aux Beaux Arts renforcé.

« Très rapidement, les conditions de mise en œuvre de l’action du ministère ont tendu à restreindre la politique culturelle à ce qui ne devait être que son instrument : construction d’équipement, financement, nomination de responsables, régulation des marchés des professions artistiques. L’histoire de la politique culturelle depuis Malraux est celle d’une lutte pour que l’instrument ne l’emporte pas sur la finalité qui le justifie. Au regard de cette histoire, la période associée au nom de J.Lang a bien les caractéristiques d’une embellie. On a cru en 81 que les limites de l’action du ministère venaient d’une insuffisance de moyens. Le doublement du budget et le gonflement des enjeux prêtés à la culture ont semblé lui apporter, enfin, une maturité. Mais en bout de course, on découvre que le problème principal était celui des fins de la politique culturelle

« Malraux et Picon avaient une vision des relations entre art, État et société, sinon incontestable du moins explicite, mais très peu de moyens financiers pour la transformer en politique publique. A l’inverse, leurs successeurs eurent beaucoup plus de moyens, notamment à partir de 1982, mais une vision beaucoup plus vague de ces mêmes relations… En revanche, leur vision a été fortement structurée par les problèmes techniques des politiques publiques de la culture. Malraux a surtout laissé un héritage idéologique dont le noyau minimal est l’affirmation de l’importance de l’action culturelle de l’État, Lang a davantage laissé un héritage budgétaire et administratif…. »

Philippe Urfalino (2004), L’Invention de la politique culturelle, Paris, Hachette.


Ces quelques éléments n’ont qu’une valeur de repères, de points d’appui permettant de cerner l’évolution des politiques culturelles menées ces dernières décennies. Le parcours proposé reste cependant très rapide et il peut être fort utile de se reporter aux textes utilisés pour se forger une idée plus complète : l’ouvrage de la Documentation Française rassemble des textes divers : articles, décrets… ; le texte de Philippe Urfalino (complété pour l’édition de 2004) propose quant à lui une analyse assez complète de l’invention de la politique culturelle.


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