Informer # Communiquer

Sur l’information et la communication médiatisée

Communication, jusqu’au 16ème siècle, est synonyme de communion. Plus tard communiquer c’est faire partager une nouvelle, transmettre… (faire une communication à l’académie…)
Au 18ème et 19ème le sens de partage diminue, apparaît la notion de transport (voies de communication : fer, route, eau…) avec tous les présupposés qui s’y rattachent.
Quant au mot information, il signifiait à l’origine l’ensemble des actes qui tendent à établir les preuves d’une infraction et d’en découvrir les auteurs (ouvrir une information). En ce sens il était proche de l’étymologie du mot : est informe ce qui n’a pas encore de forme !
Aujourd’hui, par information on désigne généralement tout élément ou système pouvant être transmis par signal ou combinaisons de signes.
Il est intéressant de voir les sens de ces deux termes évoluer dans l’histoire et pratiquement s’inverser.
Dans l’usage courant, information et communication tendent à être différenciées par rapport à la notion d’interaction (rétroaction). Différenciation aussi dans l’organisation des disciplines universitaires :

Information = documentation, journalisme, informatique…
Communication = animation, création, image, médias, publicité…

Toutefois le terme de communication reste extrêmement polysémique (c’est pour cela d’ailleurs qu’il est beaucoup utilisé : son usage étant inversement proportionnel à la précision). C’est une nébuleuse de sens qui peut se définir par rapport : à un support (écrit, audiovisuel..) ; à un objectif (publicité, formation,…) ; à un mode (verbal, non-verbal,..); à la proportion quantitative (émetteur, récepteur) ; à l’institution ; aux relations sociales (démocratie…) ou psychologiques (thérapie, analyse…) etc. C’est un terme qui est donc en lui-même source de malentendu, d’interprétation, de conflit….

Constats et problèmes actuels des théories de la communication

  • L’idéologie de la communication a pris le relais des idéologies politiques et se substitue en particulier à la faillite de l’idéologie rationaliste de progrès.
  • Le pragmatisme imprègne de plus en plus la communication. L’approche utilitariste stimule la recherche de solutions techniques à tous les problèmes de communication.
  • La recherche appliquée se généralise, elle va de pair avec la déréglementation et tout médiateur aujourd’hui est affecté de « positivisme gestionnaire » (Mattelart).
  • Les recherches sur la quotidienneté (microsociologie) ont fait réapparaître le sujet face aux structures et aux systèmes.
  • Le champ de la communication a de plus en plus de difficulté à se dégager d’une image instrumentale et à devenir un objet de recherche avec une distance critique.
  • La distinction entre information et communication est-elle (encore) pertinente ?
  • Une théorie générale de l’information et de la communication est-elle envisageable ?
  • Les phénomènes info-com ‘ : doivent-ils êtres traités par une interdiscipline ou une multiplicité de disciplines ?

… à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux numériques

Au cœur du système de fonctionnement du web 2.0, ou web socia, les réseaux sociaux numériques (ou RSN) semblent dominer à la fois les pratiques sociales et culturelles des jeunes et leurs modalités d’information. Ils offrent un concentré des pratiques informationnelles des jeunes, entre communication entre pairs et pratiques d’information. Les RSN deviennent pour les adolescents et pour nos élèves les ressources informationnelles prépondérantes. Dans le cadre d’une éducation à l’information et aux médias, l’éducation socio-culturelle questionne pourquoi et comment proposer un apprentissage informationnel en adéquation avec cette réalité sociétale ? C’est notamment le cas en 2nde professionnelle où le module EG3 interroge « le champ médiatique » et ses usages.

L’Éducation aux Médias et à l’Information (l’EMI), est dans ce contexte dispositif transversal  mis en œuvre dès le collège, et poursuivi dans l’Enseignement agricole. L’intégration des apprenants et futurs citoyens dans la société de l’information implique l’acquisition d’une culture de l’information et l’exercice de la citoyenneté à travers un usage éclairé des médias dans la société de l’information (http://eduscol.education.fr/cid72525/l-emi-et-la-strategie-du-numerique.html). Or, nombre de questions se posent aux enseignants-animateurs d’ESC à la lumière des pratiques informationnelles actuelles sur les RSN. Si les réseaux sociaux constituent en effet une partie centrale du web 2.0, c’est parce qu’ils impliquent des pratiques qui  s’articulent autour de la communication, de la sociabilité, de l’interaction et de la participation. La diffusion et la circulation de l’information deviennent prépondérantes sur les réseaux sociaux numériques qui représentent ainsi des sources de consommation d’information mais aussi des espaces de production d’information importantes pour les jeunes.

Comment ces pratiques informationnelles sont-elles valorisables dans le cadre des prescriptions des référentiels de formation de l’Enseignement agricole ? Comment, dès lors, apprendre aux élèves à s’informer et à publier « en conscience » sur les RSN ?

Pour envisager d’aborder en classe ou en animation les pratiques des jeunes concernant les RSN, il faut d’abord s’en informer, non seulement directement auprès d’eux, mais aussi en se maintenant au courant de l’état des connaissances en ce domaine. On se référera d’une part aux articles publiés dans la revue Champs culturels n° 30:

  • « Les pratiques culturelles numériques entre (re-) création et communicationz, Laurence Allard, p. 69-72.
  • « S’ouvrir au monde par les consommations culturelles globales », Sylvie Octobre, Vincenzo Cichelli, p. 79-84.
  • Focus 2 : Réseaux sociaux, p.124-128.

Sur le réseau Canopé : « Les réseaux sociaux numériques (RSN) pour s’informer : une approche citoyenne ».

https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/les-reseaux-sociaux-numeriques-rsn-pour-sinformer-une-approche-citoyenne.html

https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/les-reseaux-sociaux-numeriques-rsn-pour-sinformer-une-approche-citoyenne.html

Les héritages du XXe siècle :

… l’héritage du XXe siècle

  • Pour Robert ESCARPIT :

La communication est un acte, l’information son produit.

ESCARPIT (Robert), L’information et la communication – théorie générale, Paris, Hachette supérieur, 1991)

  • Pour Jacques ARDOINO :

Information est la notion la plus transversale.
Pour définir la communication, la notion de feed-back ne suffit pas (il y a des formes de feed-back dans l’information). Pour qu’il y ait communication il faut qu’il y ait altération. C’est-à-dire modification, ré-appropriation et il ne peut y avoir de ré-appropriation, sans déformation, contrairement à l’information.
La véritable communication est donc toujours conflictuelle.

L’intelligence de l’information est d’ordre purement logique, tandis que celle de la communication est d’ordre stratégique. La première obéit aux lois d’une pensée digitale, tandis que la seconde relève d’une pensée analogique.
Certes, on peut considérer que la communication est la mise en commun d’informations (on communique toujours quelque chose) mais cette communication se fait entre partenaires, entre sujets, elle est donc un processus entre personnes où la transmission cesse d’être privilégiée au bénéfice des effets de sens.
Dire qu’il y a sujet, c’est dire que chacun a la capacité d’altérer le sens, d’opposer le pouvoir de négatricité, d’interpréter. La règle de l’information est nécessairement la fidélité à un message univoque et permanent, alors que la règle de la communication est, au contraire, fondée sur la légitime possibilité de transformer le sens du message. Elle implique l’infidélité, l’équivocité et la temporalité du sens.
La communication, entre deux ou plusieurs partenaires-adversaires, est toujours potentiellement conflictuelle, même si au-delà de ces différences et divergences, il y a place, à travers la négociation, pour des convergences, des compromis, des accords. L’univocité attendue du code et du respect des procédures, peut se concevoir, dans la perspective de l’information, mais ne correspond en rien à la réalité de la communication. C’est pourquoi l’interprétation (démarche herméneutique) prend une importance beaucoup plus grande sur ce versant. Au lieu de prétendre réduire l’équivocité et la polysémie, réputées nuisibles, on cherche plutôt à se « familiariser? avec elles, pour permettre un jeu plus subtil, plus nuancé, et donc plus riche, du langage de la communication. La transformation du message d’un interlocuteur à l’autre est légitime, sinon nécessaire. Sans cela, il n’y a pas de réappropriation du message, des contenus d’information et de signification.
On peut apprécier, à partir de ce repérage, tout ce qui sépare les situations d’enseignement au sens étroit du terme des situations de formation, en tant qu’elles comprennent la temporalité des sujets en présence, et la possibilité de leur altération réciproque.
De fait, la communication se fonde sur l’hétérogénéité de départ des sujets et, à son tour, produit de l’hétérogénéité.

Ardoino (Jacques,), « Logique de l’information stratégies de la communication« , in Pour 1988

  • Pour Claire BELISLE

Communiquer, c’est interagir
Il importe de se dégager d’une conception de la communication conçue comme uniquement transport, transfert ou transmission d’informations. Communiquer, c’est être présent à la fois à sa propre subjectivité et à la subjectivité de l’autre. C’est se percevoir et percevoir l’autre comme sujet dans une situation de rencontre, de relation. C’est l’intersubjectivité de la situation qui rend la communication possible. BELISLE (Claire), Photolangage, Paris, Les éditions d’organisation, 1991

  • Pour Daniel BOUGNOUX

Il se pourrait que communiquer consiste moins à rayonner librement qu’à lutter darwiniennement contre les ondes ou les messages adverses : toute communication est polémique, et doit frayer par force ou par ruse son chemin dans un milieu déjà encombré.?

BOUGNOUX (Daniel, La communication par la bande, Paris, La découverte, 1991

  • Pour Guy LOCHARD et Henri BOYER

On appelle communication directe : toute situation mettant en présence deux ou plusieurs personnes dans un même espace physique et communication médiatique les communications prenant appui sur un support technique qu’elle soit individuelle (téléphone, lettre..) ou collective : tracts, affiche…. Les grands médias constituent un aspect principal de la communication médiatisée mais non exclusivement.
La communication médiatique se joue dans une dialectique démocratie et aliénation : La lutte pour la liberté de la presse et de la communication a toujours été une lutte pour la démocratie. Mais dans le même temps elle comprend une dimension marchande et idéologique (propagande et culture moyenne). Critique dès le 17ème siècle : «Tout faiseur de journaux doit tribut au Malin» La Fontaine. Au 19 ème : le mercantilisme des patrons de presse est dénoncé. Au 20 ème la question se déplace sur les effets : médias = outils de manipulation des foules et nivellement des valeurs (la culture moyenne)
La communication médiatique est soumise à des enjeux contradictoires : économiques (industrie culturelle soumis au marché de la concurrence ; une culture de flot ; un double marché : celui de l’information et celui de la publicité) et symboliques (enjeux de représentation par des discours qui construisent nos représentations mentales ; enjeux socioculturels par l’organisation de systèmes de valeurs et de croyances ; enjeux politiques par l’organisation du débat public.)
Les impératif de captation sont aussi dialectiquement opposés entre sérieux et divertissements. Ce qui construit le discours informatif sur l’opposition crédibilité/séduction
La publicité est un marché mais aussi un langage. Elle vise un objectif qu’elle se garde bien d’expliciter : celui de la consommation.

(D’après BOYER (Henri), LOCHARD (Guy), La communication médiatique, Paris, Seuil, coll : Mémo, 1998)

  • Pour Philippe BRETON

L’idéologie de la communication est la nouvelle utopie qui a pris la place des grandes utopies du passé (communisme, nazisme..).
A l’origine de la notion moderne de communication on retrouve les cybernéticiens (Wiener 1946) pour qui tout est information. Le réel peut, selon eux, s’interpréter par le biais de l’information. A partir de ce présupposé on peut distinguer deux types de « bruits » : le bruit comme imperfection (entropie normale de l’univers) et le bruit manichéen (le diable), entropie générée par l’homme (le mal).
Le projet utopique qui se noue autour de la communication porte sur trois niveaux : la société idéale ; une nouvelle anthropologie de l’homme ; la communication comme valeur.
Clé de voûte de cette utopie communicationnelle (fortement dénoncée par Philippe Breton) : la suppression de l’intériorité dans les représentations de l’homme : un homme sans « intérieur », l’être tout entier est constitué d’informations, sans reste. (D’après : BRETON (Philippe), L’utopie de la communication, Paris, La découverte, 1992)

  • Pour Lucien SFEZ

Communiquer ne veut rien dire en soi. Il y a plusieurs communications possibles :

  • La communication représentative : fondé sur le modèle linéaire d’une transmission d’information. Devant le constat technologique, on en appelle au discours de la raison. La préposition AVEC l’emporte.
  • La communication expressive : La communication est insertion d’un sujet complexe dans un environnement lui-même complexe. Ici les objets techniques sont notre environnement « naturel?. Nous sommes partie d’un tout. La préposition DANS l’emporte.
  • La communication confondante : Loin de se compenser l’un l’autre, le représentatif et l’expressif tendent à s’identifier l’un à l’autre. On prend le représenter pour l’exprimer et l’exprimer pour le représenter. La technologie est le discours de l’essence. Ici la préposition PAR l’emporte.

Cette forme de communication confondante tend aujourd’hui à embrasser tout l’univers et se prétend seule communication possible. C’est cette communication confondante qui paraît dangereuse, c’est à elle qu’on oppose une politique du bon sens et de l’interprétation.

D’après SFEZ (Lucien), La communication, Paris PUF, coll. Que sais-je?, 1991

  • Pour Dominique WOLTON

Les trois dimensions de la communication sont technique, culturelle et sociale.
Quant aux conditions d’efficacité de la communication, elles sont :

  • Une culture et des valeurs communes (appartenance au même univers socio-culturel, et le partage des mêmes valeurs.)
  • Une reconnaissance mutuelle des identités.
  • Une acceptation des altérités (le fantasme Internet : croire en un universel de la communication qui aurait éliminé les contraintes.)

La société de l’information est un thème qui s’est imposé avec un tel succès qu’il paraît suranné aujourd’hui de s’y opposer. Cette réussite est liée d’une part au fait qu’elle porte sur des techniques aux performances exceptionnelles et d’autre part parce que cette idéologie surgit sur les décombres des grandes idéologies politiques qui prétendaient transformer le monde. Si communiquer est ce qui caractérise profondément l’être humain, toute technique qui prétend faciliter la communication apparaît alors comme l’outil idéal de la liberté individuelle. On oublie ainsi que derrière toute instrumentalisation de la communication il existe des acteurs (et donc des pouvoirs), des contenus et des effets. On peut alors parler d’idéologie technique dans la mesure où elle établit un lien direct entre les trois dimensions de toute idéologie : par les fantasmes sur la société de l’information, elle véhicule un projet politique ; par sa dimension naturellement anthropologique elle constitue un système de croyance ; par ses enjeux économiques elle est une idéologie d’action. La pensée critique vise, au contraire, à montrer la discontinuité et les contradictions entre ces trois logiques.
Pour évaluer l’impact des nouvelles techniques de communication, il faut premièrement : reconnaître que toute communication est un rapport de force, et deuxièmement : se demander que gagne-t-on et que perd-t-on à chaque nouvelle forme de communication ?
Par ailleurs, il n’y a pas de communication sans incommunication, Cette réalité banale est occultée aujourd’hui par la performance des outils, leurs interconnexions, leurs facilités et leurs vitesses. Souligner les limites c’est aussi rappeler que les conditions d’efficacité de la communication supposent : une culture et des valeurs communes (une appartenance au même univers socio-culturel, et le partage des mêmes valeurs) ; une reconnaissance mutuelle des identités ; une acceptation des altérités. De ce point de vue le fantasme d’internet (communiquer avec n’importe qui, de n’importe où, sur n’importe quoi et à n’importe quelle heure) illustre la tentation d’éliminer ces contraintes.
Deux questions majeures restent posées : Notre disponibilité journalière n’est pas extensible à l’infini et le temps consacré à l’utilisation des nouvelles techniques s’effectue obligatoirement au détriment d’autre chose. Par ailleurs, toute culture, tout savoir, tout projet politique, toute démocratie suppose de la distance. Comment construire une distance temporelle et spatiale face à l’emprise des objets techniques de la communication qui tendent toujours à nous situer dans la proximité et dans l’immédiateté.

Résumé d’après : WOLTON (Dominique), Penser la communication, 1997

  • Pour Armand MATTELART
  1. La communication, cela sert d’abord la guerre. Depuis le télégraphe, en passant par la propagande, la guerre psychologique, le contrôle de l’information par les autorités militaires…
  2. La communication, cela sert à promouvoir le progrès. Avec l’essor des technologies, la communication est devenu «le» progrès et le fondement de la société de l’information (avec ses utopies d’un égalitarisme communicationnel, du « village global »… )
  3. La communication, c’est aussi la culture. Cette dimension n’a pas été le souci majeur des théories et des stratégies de la communication internationale. Le recentrage sur la culture est récent (les années 80) et s’opère à mesure qu’entraient en crise les modèles centralisés de gestion culturelle de l’Etat-nation-providence.
L’espace communicationnel que nous connaissons s’est constitué historiquement dans un entrelacs de concepts qui se sont tissés entre ces trois domaines. Il est par ailleurs indispensable de penser la communication à partir de la réalité de l’espace-monde.

D’après MATTELART (Armand), La communication monde, Paris, La découverte, 1999

  • Pour Jean-Claude SOULAGES

Tout acte de communication ne peut être observé qu’en partant de l’articulation de deux composantes relationnelles dont l’interpénétration est constante :

  • Un cadre situationnel : le lieu du Faire, que circonscrit le contexte et qui définit un espace de contraintes.
  • Un cadre communicationnel mobilisant des éléments purement langagiers ou discursifs de l’échange et définissant un espace de stratégie.

La communication médiatique peut être catégorisée selon quatre critères :

  • Les types de discours (information, publicité, divertissement… ) Chaque type de discours est fondé sur des systèmes de représentations ancrés dans des pratiques sociales et des imaginaires partagés.
  • Les productions médiatiques elles-mêmes, correspondant à des usages sociaux de consommation prenant appui sur différents circuits de diffusion (presse, radio, TV…)
  • A l’intérieur de ces productions : les formes textuelles issues des pratiques professionnelles spécifiques (interview, éditorial, reportage, débat…)
  • A l’intérieur de ces formes : les procédés langagiers révélateurs de stratégies de discours variées.

D’après SOULAGES (Jean-Claude), Les mises en scène visuelles de l’information, Paris, Nathan-INA, 1999.

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