Création – Créativité

La création se distingue de toute autre forme de production naturelle ou humaine. Dans l’agir créateur, l’homme vit l’affirmation exaltante de tout son être dans la libre production d’une valeur nouvelle.

La créativité est la capacité à réaliser une production qui soit à la fois nouvelle et adaptée au contexte/domaine dans lequel elle se manifeste (Lubart, Mouchiroud, Tordjman, & Zenasni, 2003 ; Sternberg & Lubart, 1995)

Création et créativité sont distinctes en ce sens où cette dernière est un don universellement partagé contrairement à la faculté de créer.

Ces deux notions en articulent d’autres : inspiration, inconscient, stratégie, expression, mais aussi estime de soi, et transformation de soi.

Quelques notions

Question d’inspiration ?

D’après Socrate dans le Ion : ce n’est pas en vertu d’un art que Ion, le rhapsode, parle d’Homère, et ce n’est pas en vertu d’un art qu’Homère, le poète compose ses chants magnifiques. Le mystère de la création viendrait d’une puissance divine qui les met en branle et, dans ces moments, « les poètes n’ont plus leur esprit » : ce sont des hommes habités par Dieu.

« Pour quelle raison tous ceux qui ont été des hommes d’exception, en ce qui regarde la philosophie, la science de l’État, la poésie ou les arts, sont-ils manifestement mélancoliques, et certains au point même d’être saisis par des maux dont la bile noire est l’origine… » : ainsi s’ouvre le fameux problème XXX, 1 du pseudo Aristote. Il ne s’agit plus de possession divine mais de dérèglement physiologique. Dans le système humoral de l’Antiquité -et qui perdurera jusqu’au 18ème siècle- l’excès de bile noire détermine un tempérament et des modifications de comportement. Et les poètes en seraient affectés.

Quoiqu’il en soit, la fureur divine qui s’empare du poète n’est pas sans effets physiologiques, le visage s’enflamme, les yeux étincellent, le sujet gesticule. C’est encore en des termes similaires que Denis Diderot décrit le coloriste dans ses Essais sur la peinture en 1795 :

« Celui qui a le sentiment vif de la couleur, a les yeux attachés sur sa toile ; sa bouche est entrouverte, il halète ; sa palette est l’image du chaos. C’est dans le chaos qu’il trempe son pinceau, et il en tire l’œuvre de sa création. Et les oiseaux et les nuances dont leur plumage est teint ; et les fleurs et leur velouté ; et les arbres et leurs différentes verdures ; et l’azur du ciel et la vapeur des eaux qui les ternit ; et les animaux et les longs poils et les taches variées de leur peau, et le feu dont les yeux étincellent. Il se lève, il s’éloigne, il jette un coup d’œil sur son œuvre. Il se rassied, et vous allez voir naître la chair, le drap, le velours, le damas, la mousseline, la toile, le gros linge, l’étoffe grossière ; vous verrez la poire jaune et mûre tomber de l’arbre, et le raisin vert attaché au cep. Mais pourquoi y a-t-il si peu d’artistes qui sachent rendre la chose à laquelle tout le monde s’entend ? Pourquoi cette variété de coloristes, tandis que la couleur est une en nature ? La disposition de l’organe y fait sans doute. L’œil tendre et faible ne sera pas ami des couleurs vives et fortes … Mais pourquoi le caractère, l’humeur même de l’homme n’influeraient-ils pas sur son coloris ? Si la pensée habituelle est triste, sombre et noire, s’il bannit le jour de sa chambre, s’il cherche la solitude et les ténèbres, n’aurez-vous pas raison de vous attendre à une scène vigoureuse peut-être, mais obscure, terne et sombre ? S’il est ictérique et qu’il voit tout jaune, comment s’empêchera-t-il de jeter sur sa composition le même voile jaune que son organe vicié jette sur les objets de la nature, et qui le chagrine, lorsqu’il vient à comparer l’arbre vert qu’il a dans son imagination, avec l’arbre jaune qu’il a sous les yeux ?

Soyez sûr qu’un peintre se montre dans son ouvrage autant et plus qu’un littérateur dans le sien. Il lui arrivera une fois de sortir de son caractère, de vaincre la disposition et la pente de son organe. C’est comme l’homme taciturne et muet qui élève une voix. L’explosion faite, il retombe dans son état naturel, le silence. L’artiste triste ou né avec un organe faible produira une fois un tableau vigoureux de couleur ; mais il ne tardera pas à revenir à son coloris naturel.»

L’inconscient à l’œuvre ?

La psychanalyse a, quant à elle, soupçonné derrière l’inspiration, la contrainte naturelle des tendances profondes de l’inconscient. Le sens du travail de l’artiste renverrait « à un événement infantile complexe et ensuite diversement symbolisé, varié, modulé, orchestré dans l’œuvre totale du créateur » écrit Jean-Paul Weber, dans La psychologie de l’art (1958). Plus pertinents encore que Weber, les écrits de Charles Baudouin sur la création littéraire notamment sur Victor Hugo (Psychanalyse de l’art, 1929, lisible en ligne), et de Karl Abraham à propos du peintre Giovanni Segantini dans le domaine des arts plastiques, sont accessibles à des lecteurs modestement instruits du freudisme. Toujours dans le domaine de la création littéraire, l’approche psychanalytique se retrouve dans l’ouvrage récent de Didier Christophe, L’imaginaire et l’inconscient chez Jean de La Ville de Mirmont, Création littéraire et inconscient (Paris, L’Harmattan, 2018) en convoquant divers auteurs.

Dans une approche plus large des arts contemporains, on pourra lire l’article de Tania Rivera, « Le sujet, l’artiste et l’art contemporain » (publié dans Insistance, n°6, 2011).

L’artiste est généralement perçu comme quelqu’un qui cherche à s’accomplir, à résoudre un conflit intérieur, à satisfaire un besoin qui l’obsède depuis l’enfance et qui donne lieu à des réminiscences de thèmes et de configurations. Dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Freud relève quelques traits de la personnalité de l’artiste et quelques faits de sa biographie. Il souligne l’accouchement pénible de l’œuvre, la fuite finale devant son accomplissement, l’indifférence au sort ultérieur de son travail… Si Freud s’intéresse à l’œuvre de Léonard de Vinci ce n’est pas pour en éclaircir les mystères, mais pour déterminer si « dans l’œuvre de Léonard, des témoignages de ce que sa mémoire conserva comme la plus puissante impression de son enfance » ne pouvaient être repérés. C’est ainsi qu’il est amené à s’intéresser au fameux sourire récurrent dans ses peintures à partir du portrait de Mona Lisa. « Léonard aurait été captivé par le sourire de la Joconde, parce que ce sourire éveillait en lui quelque chose, au fond de son âme, sans doute un très ancien souvenir. » Sourire qui se répéta, ensuite, une fois réveillé, dans plusieurs de ses œuvres, en autant de nouvelles incarnations. Peut-être serait-ce le sourire de sa mère…

Il est difficile de circonscrire les processus de création :

« Il serait intéressant de fixer photographiquement, pas tant les stades que les métamorphoses d’une œuvre d’art, peut-être on découvrirait ainsi le sentier que suit le cerveau en réalisant un rêve » écrivait Picasso qui était fasciné par son processus créateur. Ce projet fut réalisé au cinéma par Henri Georges Clouzot avec  Le Mystère Picasso en 1956. Séquence d’introduction :

Quand on observe un artiste à l’ouvrage, il semble bien en tous les cas que les stratégies soient différentes. Les recherches de K.R Beittel et de R.C. Brockhart en 1972 ont montré qu’on pouvait distinguer 3 manières de procéder :

  • la stratégie spontanée : la procédure change au cours du travail au profit d’une autre jugée plus pertinente. L’environnement affectif et social, l’état d’avancement du travail et le matériau sollicitent fortement l’attention et ce sont des facteurs de modification.
  • la stratégie divergente : c’est le but qui change plutôt que la procédure.
  • la stratégie académique : c’est une avancée selon une stratégie statique, une méthode pour laquelle la procédure est connue, allant de l’ensemble au détail.

Ces trois façons de procéder sont toutefois à nuancer en prenant en compte la tension qui existe entre les processus primaires (impulsifs) et les processus secondaires (contrôlés), et on constate souvent des stratégies différentes selon les stades de travail.

Nous ajouterons enfin que la création est un phénomène contradictoire qui met l’homme aux prises avec son milieu, avec son œuvre et surtout avec lui-même.

De plus, tout se passe comme si l’œuvre excédait la capacité réceptive de celui qui la favorise. La création n’est pas seulement la réalisation d’une idée saisie dans tout son contenu et ayant seulement à se concrétiser… L’artiste ne sait ce qu’il va faire ni ce qu’il veut faire qu’une fois qu’il le fait, une fois que cela s’est fait en lui.

Enfin l’œuvre permet l’auto-construction de celui qui l’a conçue, elle se crée en lui et le crée par là même. Or, l’homme  se crée d’une certaine façon par le jugement négatif qu’il porte sur lui-même en découvrant que la rupture avec soi n’est que l’envers d’une affirmation plus authentique de soi. « C’est au moment où on perd son chemin qu’on entre en chemin », « qu’on touche à ce je ne sais quoi qui s’atteint d’aventure » dit le peintre Pierre Soulages ( cf. article et vidéo sur le site du magazine Beaux-Arts).


Expression, création, exploitation, nature : regards croisés à la sauvette.

Ce que nous dit André Passeron dans Pour une philosophie de la création (1989), c’est que créer, c’est plus que s’exprimer : c’est faire une œuvre. Expression et création varient en raison inverse. Nous avons tous la faculté de créer mais nous avons pu la laisser s’atrophier jusqu’à la haïr. La créativité peut pourtant s’exercer fréquemment jusqu’à devenir la passion de faire naître des œuvres.

Dans une approche davantage sociologique, on pourra lire Portrait de l’artiste en travailleur, Métamorphoses du capitalisme, de Pierre-Michel Wenger (Paris, Seuil, 2002), où l’approche marxiste du travail de création prend tout sons sens dans notre époque mouvante entre société du spectacle , exception culturelle et confinements sanitaires. Cf. note de lecture par Maxence Alcalde (dans Marges, 2, 2014).

Mais l’une des principales clés étant à chercher du côté de ma psychanalyse, on pourra écouter avec profit l’émission Carbone 14, sur France Culture, « L’art préhistorique : le psychanalyste et l’archéologue » (2017, 29 min).

Enfin, l’enseignant.e d’ESC pourra aisément investir le domaine du Land Art pour favoriser la création et la créativité des élèves. Parmi une foule de sites proposant des entrées pédagogiques, on pourra consulter :

Adolescence, créativité, transformation

Dans un contexte de grands changements psychosociaux, l’adolescence est une
période déterminante pour le développement de la créativité. Réciproquement,
la créativité pourrait être une composante centrale de la « transformation de
soi » à l’adolescence car elle favorise les processus de la pensée impliqués dans
la formation identitaire, permet de développer et maintenir une représentation
positive et créative de soi, et facilite l’expression de soi sur des supports d’intérêts
dans lesquels l’adolescent s’est engagé. Cet article présente un examen des travaux
existants sur le développement de la créativité à l’adolescence et sur son rôle
dans le développement de soi, ouvrant sur des implications pratiques en termes
de promotion des activités créatives, particulièrement importantes durant cette
période de la vie.
 
Le paradigme de Marcia (1966) offre un cadre pertinent pour comprendre les liens entre l’identité et la créativité : il permet d’identifier des structures identitaires (ou statuts) qui pourraient favoriser l’expression créative. Cette hypothèse est examinée dans une recherche étudiant les liens entre les statuts et des facteurs impliqués dans la créativité (la pensée divergente et la pratique d’activités créatives). 1 139 élèves scolarisés en classes de troisième à première ont complété une mesure du statut identitaire, une tâche de pensée divergente, et un questionnaire renseignant leurs pratiques créatives. Des analyses de variance indiquent un effet significatif du statut sur la pensée divergente et les pratiques créatives, et suggèrent des effets modérateurs du sexe et de l’âge quant au lien entre identité et créativité. Ces résultats sont discutés en termes de développement interactif de l’identité et de la créativité, offrant des perspectives utiles aux théories de l’identité, soucieuses de leurs applications pratiques.

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