Mass média et réseaux sociaux

Le circuit de l’information, tel qu’on peut l’aborder en classe, c’est le cheminement qui s’opère entre un fait (ou l’événement) et sa communication au public par une modalité médiatique.

Cela prend des formes différentes au fil de l’histoire des médias, mais dans tous les cas, ce qui est à considérer, c’est la diffusion massive de contenus : des données, un récit, un commentaire, une interview, une image, un son, une vidéo, etc.

Face à l’offre grandissante d’informations, s’assurer de la crédibilité et de la véracité de l’information est un enjeu important.

C’est aussi un enjeu de citoyenneté, car les choix culturels, politiques et sociaux de chacun sont tributaires de la circulation de l’information, que l’on s’informe à travers les médias traditionnels (presse écrite, radio et télévision) ou via les supports numériques en ligne (sites web de médias traditionnels, pure-players n’utilisant que l’internet comme canal de diffusion, blogs, réseaux sociaux, sites de podcast ou de vidéo, etc.).

Si le circuit de production de l’information est resté globalement inchangé quant à son éthique et ses modalités, l’avènement des supports numériques en ligne a changé les pratiques au XXIe siècle, et les journalistes professionnels eux-mêmes en sont utilisateurs.

Le traitement de l’information dans les médias traditionnels (presse écrite papier, puis radio et télévision, dits mass média), a suivi durant longtemps le même circuit de sélection, de vérification et de formalisation.

Si ce mode de fonctionnement du journalisme a été bousculé par l’irruption d’Internet, on peut rappeler le principe de production et les risques socio-culturels ou socio-politiques quant à la diffusion de l’information (ou communication) par les mass média auprès du grand public :

1° le circuit de l’information usuel peut être schématisé comme ci-dessous, quelle que soit la ligne éditoriale du média étudié,

2° l’impact des mass média fait depuis longtemps l’objet de critiques, comme on le verra plus bas avec le sociologue Georges Gerbner :

Le circuit de l’information tel qu’il est vécu historiquement dans les médias traditionnels

Sous l’influence des groupes professionnels et lobbies, notamment industriels, et des politiques, les choix que requièrent la sélection (tri), l’enquête (vérification) et la présentation (mise en forme) obéissent à une ligne éditoriale propre à chaque média.

La ligne éditoriale définit l’identité d’un média et correspond à l’ensemble des choix rédactionnels effectués par les journalistes lors des conférences de rédaction. Elle fixe une ligne directrice et oriente la manière dont sera traitée l’actualité. Car il faut bien distinguer le fait d’actualité (information récente, factuelle, vérifiée, qui intéresse le plus grand nombre) et le traitement éditorial de ce fait d’actualité (un journaliste choisit un angle, c’est-à-dire un aspect particulier d’un sujet d’actualité). En ayant une ligne éditoriale, un média s’assure ainsi de la cohérence des sujets traités, à la fois sur le fond (les différents thèmes abordés) ou sur la forme (tonalité de la publication ou de l’émission).

Chaque média a donc sa propre ligne éditoriale : celle-ci détermine le choix des sujets, les angles choisis, la hiérarchie de l’information, c’est-à-dire la place accordée aux informations jugées les plus importantes.

(Source : clemi.fr, consulté le 23/11/2021)

Un demi-siècle de critique du modèle.

Mais le sociologue Georges Gerbner n’a pas attendu Internet et les dérives de réseaux sociaux dépourvus de ligne éditoriale pour nous alerter sur les risques de formatage que comportent les mass média :

Les communications de masse se caractérisent par une production massive de messages et leur distribution rapide à des publics vastes et hétérogènes. Les mass média sont des techniques employées par des organisations industrielles en vue de la production et de la transmission de messages dans des quantités que seule la production massive et les méthodes de production de distribution rapide permettent d’obtenir. Les mass média sont les principaux aspects culturels de l’ordre industriel qui leur a donné naissance. Ils créent et entretiennent une nouvelle forme de conscience commune – les masses modernes. Ce sont des collectivités, des « foules » dont les individus ne se rencontrent jamais face à face. Elles sont créées et entretenues par le processus que nous appellerons « publication ».

La « publication » fournit la base d’une conscience et d’un gouvernement communs à des groupes de gens trop nombreux et trop dispersés pour que toute autre forme d’interaction soit possible. Aussi la « presse » occupe-t-elle une place spéciale dans les constitutions et les lois de tous les États modernes. L’aspect révolutionnaire des communications de masse, à notre époque, est leur pouvoir de « former le public » : c’est à dire de créer de nouvelles bases historiques de pensée et d’action collective d’une manière rapide, continue, persuasive, en franchissant les barrières du temps, de l’espace et de la culture. La lutte pour le pouvoir et les privilèges, pour la participation à la conduite des affaires et pour toutes les formes de consécration sociale et de justice s’écarte de plus en plus des anciennes arènes de combat. Le terrain sur lequel elle se place désormais pour attirer et contrôler l’attention du public par la communication de masse est celui de la politique culturelle.

George Gerbner, « Pouvoir institutionnalisé et systèmes de messages », revue Communications, année 1969 Volume 14 Numéro 1 « La politique culturelle », pp. 116-128.

Un demi-siècle après la parution de cet article, l’analyse de Gerbner est toujours valable : l’impact qu’ont sur le web les puissances économiques, qui possèdent aussi les grands groupes de presse, n’a fait que renforcer « leur pouvoir de « former le public » : c’est à dire de créer de nouvelles bases historiques de pensée et d’action collective d’une manière rapide, continue, persuasive, en franchissant les barrières du temps, de l’espace et de la culture. »

La diffusion d’information et de communication sur Internet, dans laquelle tout un chacun peut être producteur de news, a largement bousculé les normes de la production médiatisée, et a ouvert à diverses dérives.

Pour saisir le lien entre ces deux faits, voilà deux relectures possibles :

1° Une des schématisations du circuit de l’information à l’ère d’Internet.

2° Un texte critique sur les dérives de « l’économie de l’attention » et la culture de la peur, véhiculées par nombre de supports d’information sur Internet.

Schéma du circuit de l'information Internet
Un schéma possible du circuit de l’information à l’ère d’Internet

L’économie de l’attention, un terrain fertile pour la culture de la peur. 

« Le fait que les gens soient sensibles à une campagne de peur est ce qui les rend vulnérables à la manipulation par ceux qui veulent générer de la peur. Pour comprendre de plus près cette dynamique, il faut observer le rôle de l’attention, estime la chercheuse, car l’économie de l’attention constitue un terrain fertile pour la culture de la peur. Dans les années 1970, l’économiste et sociologue Herbert Simon a fait valoir que « dans un monde riche en informations, la richesse de l’information signifie un manque de quelque chose d’autre. Une pénurie de ce que l’information consomme. Ce que l’information consomme est assez évident : elle consomme l’attention de ses bénéficiaires. »

Ses arguments ont donné lieu à la fois à la notion de « surcharge d’information » mais aussi à l’ « économie de l’attention », rappelle danah boyd. « Dans l’économie d’attention, la volonté des gens pour distribuer leur attention à des stimuli d’information divers crée de la valeur pour lesdits stimuli. L’importance économique de la publicité repose sur l’idée qu’amener les gens à prêter attention à quelque chose a une valeur. »

L’information est étroitement liée à l’économie de l’attention. Les journaux tentent de capturer l’attention des gens par leurs manchettes. Les stations de télévision et de radio tentent d’inciter les gens à ne pas changer de chaîne. Et, en effet, il y a une longue histoire des médias d’information tirant parti de la peur pour attirer l’attention, que ce soit en utilisant des titres effrayants pour générer des ventes ou en faisant de la propagande pour façonner l’opinion publique.

« Les médias sociaux apportent avec eux des quantités massives d’informations – non scénarisées, inédites et non filtrées. Travailler en ligne, c’est comme nager dans un océan d’informations. La notion même d’être en mesure de consommer tout est risible, bien que beaucoup de gens aient encore du mal à se réconcilier avec la question de la « surcharge d’information ». Certains réagissent en évitant des environnements où ils vont être exposés à trop d’informations. D’autres essaient de développer des tactiques compliquées pour atteindre l’équilibre. D’autres encore sont malheureux de ne pas trouver un moyen de traiter l’information qui est les intéresse.

La quantité d’informations produite dépasse de très loin la quantité d’informations à laquelle vous pouvez prêter attention. Ma réponse préférée à cette question est ce que l’informaticien Michael Bernstein a décrit comme le « Twitter zen ». C’est l’état heureux que les gens atteignent quand ils lâchent prise et se contentent d’embrasser le flux de l’information. (…) Et pourtant, les gens pensent toujours qu’ils doivent lire tous les messages de blog dans leurs lecteurs de flux, tous les tweets de leurs flux Twitter. En fait, la plupart de nos outils sont conçus pour nous faire nous sentir coupables quand nous avons laissé des choses « non lues ».

Peu importe comment nous nous sentons face aux énormes quantités d’informations auxquelles nous sommes confrontés, une chose est claire : la quantité d’information ne va pas diminuer dans un proche avenir. Compte tenu de l’augmentation de l’information et des médias, ceux qui souhaitent que les gens consomment leur matériel vont devoir se livrer à une bataille difficile pour obtenir leur attention. Toute personne qui s’occupe de marketing des médias sociaux sait combien il est difficile de capter l’attention des gens dans ce nouvel écosystème. ».

danah boyd : pourquoi avons-nous peur des médias sociaux ?
Hubert Guillaud et Rémi Sussan, journalistes,
25 avril 2012 – Blog du Monde consulté le 19 octobre 2017

La généralisation des flux de diffusion d’information et de communication par les réseaux sociaux affectent les pratiques du journalisme. Pour comprendre ce qu’il en est, nous retrouvons ci-dessous deux points de vues :

1° L’enquête CISION sur l’impact des médias sociaux sur le journalisme (2017).

2° Un extrait d’une interview de Dominique Wolton, sociologue des médias et directeur de recherche au CNRS, pour l’Union internationale de la presse francophone (2019).


Impact des médias sociaux sur le journalisme

Principaux résultats de l’enquête CISION (chiffres 2017) :

#1 – Toujours plus de journalistes utilisent les réseaux sociaux

#2 – Paradoxe entre objectifs et utilisation quotidienne : Focus sur les interactions et l’engagement

#3 – Facebook et Twitter sont toujours les réseaux sociaux préférés des journalistes mais la génération des digital natives fait bouger les lignes

#4 – L’opinion des journalistes sur l’impact des médias sociaux mitigée : la nouvelle génération plus optimiste

#5 – Les Fake News : la nouvelle inquiétude des journalistes : 72% les perçoivent comme un grave problème

#6 – Journalistes et réseaux sociaux : 6 profils types

Consulter l’enquête en entier ici

Le point de vue d’un sociologue des médias, Dominique Wolton

Que pensez-vous des réseaux sociaux, sont-ils utiles aux journalistes ou représentent-ils une menace, un facteur de confusion?

Au départ les réseaux sociaux, constituent un contrepouvoir utile par rapport aux médias, qui avaient pris beaucoup d’influence entre les années 1970 et 2000. Bien évidemment ça a glissé, et aujourd’hui, ce sont les réseaux qui deviennent non pas un contrepouvoir, mais une autre oligarchie. C’est-à-dire que la liberté d’expression devient une tyrannie d’expression. Comme il n’y a pas de contrôle politique et de contrôle éditorial, tout le monde dit n’importe quoi. Ce n’est pas parce que vous avez 5 milliards de gens qui s’expriment sur les réseaux sociaux qu’ils disent la vérité, puisque personne ne contrôle rien et on considère ça démocratique. C’est d’abord beaucoup de manipulation et du lobbying, et au final les réseaux sociaux engendrent beaucoup de confusion. Il faudrait introduire du contrôle là-dedans et ne pas avoir peur du mot contrôle. En fait, dans cette poubelle d’information, entre rumeurs, mensonges, manipulation et fake news, les journalistes ont perdu leur âme. Oui, il faut qu’ils utilisent les réseaux sociaux, mais le journalisme c’est d’abord un métier, une tradition, une déontologie, ce sont des valeurs! Les réseaux sociaux, c’est un tam-tam généralisé, il faut à la fois l’écouter, mais il faut s’en méfier.

Est-il possible d’établir une déontologie des réseaux sociaux et est-il possible d’éduquer ses utilisateurs à la vérification des faits ?

Alors ça, c’est vraiment ce que j’appelle une vision idéaliste et fausse. On ne va pas demander à l’homme de devenir vertueux, on ne va pas le changer. Par contre, on peut lui aiguiser le sens critique à l’école, dire que la liberté d’expression ce n’est pas la liberté d’information. Elle passe par un professionnel indispensable : le journaliste. Trois autres professionnels d’autres corps de métiers, que je défends tout le temps, lui sont utiles : le documentaliste, l’archiviste et le traducteur. Parce que ce sont, justement, les métiers qui permettent de négocier dans toute cette folie des informations et des rumeurs. Ce sont ces quatre métiers qu’il faut sauver et ça coûte moins cher que les fake news.
Les réseaux sociaux vont à toute vitesse et l’accident arrive par excès de vitesse quand faire de l’information demande de temps : pour la recouper, pour la vérifier. Par conséquent, il y a une contradiction et un conflit entre la vitesse de l’information sur les réseaux, le relais des rumeurs, et l’information vérifiée qui demande du temps. Il faut revendiquer ce temps, il faut le revendiquer pour les journalistes comme pour les politiques. Il faut le revendiquer pour la traduction, pour la documentation, pour l’archivisme.
Il faut aussi revaloriser le rôle des professeurs de l’école jusqu’à l’université, parce que apprendre à réfléchir, apprendre à critiquer ça prend du temps, mais c’est la condition de la liberté. Donc il y a une espèce de contradiction entre la fascination, que nous avons tous à l’égard du progrès technique avec le fait que cette vitesse de l’information n’est pas de tout similaire avec la vitesse de rythme de la démocratie. La démocratie doit avoir un peu de temps, c’est même sa force et sa faiblesse, pour être capable de distinguer ce le vrai du faux, la manipulation et le lobbying. Et si jamais la presse, qui est le premier rempart contre la démagogie, n’est pas capable de se dissocier des réseaux, je pense que les réseaux et les journalistes, puis les hommes politiques et même l’université, seront mis dans la même catégorie qu’on appelle les élites avec un populisme insupportable.

Dominique Wolton : « Les réseaux sociaux vont à toute vitesse quand faire de l’information demande du temps »

presse-francophone.org, mai 03, 2019

Consulter le texte intégral ici.

Pour aller plus loin avec les jeunes sur les enjeux des mass média et des réseaux sociaux, on peut partir des propositions faites par un sociologue des médias et directeur de recherche au CNRS sur le site educavox :

consulter Dominique Wolton : dix idées clés pour une “speed détox”

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