La pratique explicitée

La pratique explicitée au service des apprentissages et de l’évaluation en ESC

Le pilotage des formations et des évaluations par capacités conduit naturellement à utiliser des modalités d’épreuves impliquant l’observation et/ou la questionnement des pratiques des apprenant.e.s, du CAP agricole au BTS.

Les spécificités de la situation d’énonciation et d’analyse appelée « pratique explicitée » invitent les élèves et étudiants à prendre de recul sur leurs pratiques. Cette prise de recul pourrait être utilement utilisée aussi à titre formatif, comme un atout favorisant également les apprentissages des élèves (y compris des de 4ème-3ème).

La pratique explicitée est un outil efficace pouvant non seulement les aider à faire cette démarche d’analyse de situations permettant de faire montre des capacités acquises, et à l’exprimer, mais aussi aider les enseignants à les évaluer. Elle permet aux apprenants tout à la fois de conscientiser les attendus et objectifs de formation, et de vérifier par eux-mêmes leur niveau de capacité, tant pratique qu’analytique.

Qu’est-ce que la pratique explicitée concrètement ?

La « pratique explicitée » est une modalité d’analyse factuelle dans laquelle l’opérateur (qu’l soit apprenant ou professionnel) expose en conscience sa pratique et le rôle qu’y tient les apprentissages réalisés ; c’est une manière d’entrer dans l’explicitation des compétences et du raisonnement du jeune.

Comment l’utiliser dans le cadre de son enseignement et de la préparation des apprenants à leurs évaluations ?

1- Comprendre la méthodologie de l’explicitation de pratique : expliciter ce n’est pas expliquer. Lorsque l’on expliquez quelque chose, on répond simplement à la question : pourquoi ? Lorsque l’on explicite, on répond à la question : comment ?

  • Il s’agit de décrire comment l’on travaille.
  • Pour cela, l’apprenant.e doit procéder à l’expression du procédural, à repérer et expliciter ce qui fait sens au sein des pratiques opérationnelles et des informations satellites de l’action elle-même.

2- S’exercer à l’explicitation de pratique : les partenaires de l’explicitation peuvent se poser des questions factuelles…

  • Qu’est ce qui me revient en premier quand je prends le temps de penser à ce moment où… ?
  • Puis-je choisir une situation précise ?
  • Par quoi ai-je commencé ?
  • Que s’est-il passé ensuite ?
  • Comment m’y suis-je pris pour … ?
  • Comment ai-je fais telle chose ?
  • Que fais-je quand je fais cette chose ?
  • Que s’est-il passé à la fin ?
  • Quand ai-je considéré que l’action était terminée ?
  • À quoi ai-je reconnu que c’était difficile ?

3- Élaborer des stratégies pédagogiques favorisant la pratique explicitée : c’est le moment de valoriser en classe le vécu des apprenant.e.s en périodes de formation en milieu professionnel. En bac professionnel, le module MG3 et l’EIE qui y est associé sont des espaces pédagogiques tout à fait adaptés.

  • Il faut créer des conditions permettant l’émergence de certains questionnements,
  • en proposant une situation qui permette de se remettre physiquement, mentalement et émotionnellement en situation de travail.
  • L’objectif est de renvoyer à une situation vécue, mais aussi de donner du temps afin de laisser revenir les souvenirs et les impressions, selon les questionnements ci-dessus.

4- Concevoir des situations d’évaluation utilisant la pratique explicitée : du CAP agricole au BTSA.

  • En CAPa SAPVER, le module MP2, peut faire l’objet d’une modalité d’évaluation utilisant la pratique explicitée, au vu de l’objectif visé : « Repérer les besoins de la personne afin d’établir une communication adaptée »
  • En Bac Pro rénové (2023), le module MG3, notamment par le biais de l’EIE qui y est associé, permet à l’équipe pilotée depuis les attendus du module en ESC, d’avoir recours à la pratique explicité comme modalité de formation et de conscientisation, mais selon les spécialités, de nombreuses possibilités s’ouvrent aussi aux enseignants des modules professionnels.
  • En BTSA rénové, la conception par les équipes pédagogiques de situations d’évaluation intermodulaires (modalité qui n’est pas le seul apanage des BTS en semestrialisation), permet d’associer les sous-capacités C2.2*, C2.3*, C2.4, ou C3.3, à des sous-capacités des blocs professionnels : dans ces situations, on peut utilement proposer la pratique explicité comme modalité d’évaluation. (* : non affecté)
  • Ces pratiques explicités doivent permettre de repérer les compétences/capacités que les membres du jury évalueront au regard du référentiel de diplôme et des critères fixés pour l’évaluation.

Pour aller plus loin :

L’entretien d’explicitation a été créé pour fournir une aide à la microdescription de l’action vécue, saisie dans un point de vue en première personne. En ce sens, il s’inscrit logiquement en lien avec la biographie, puisque toute action vécue est un moment autobiographique.
Mais pourquoi créer une technique d’entretien particulière pour ce faire ? À la base, l’intention est de fournir une aide à l’introspection, parce que décrire son propre vécu repose sur une vraie compétence à pratiquer l’introspection et cette compétence est présupposée comme acquise par tous et allant de soi depuis toujours. […] la compétence à s’introspecter est pour la majeure partie des personnes peu développée. […] L’introspection de son propre vécu ne va pas de soi et demande une aide experte ou une vraie formation personnelle.
L’entretien d’explicitation vise à produire une description détaillée du vécu . La dimension descriptive est importante, parce que cette technique vise à ne pas encourager les métaverbalisations – comme les commentaires, les opinions, les jugements, les représentations – pour privilégier la dimension factuelle de ce qui a été vécu : les événements intimes, les actes matériels et mentaux, les états […].
VERMERSCH Pierre (2019), « Entretien d’explicitation », dans : Christine Delory-Momberger (éd.), Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique. Toulouse, Érès, p. 340-342.
Tweet
Les applications de l’entretien d’explicitation, par Pierre Vermersch (2013), psychologue, chercheur CNRS.

« L’entretien d’explicitation », entretien avec Pierre Vermersch, propos recueillis par Pascale et Hervé Kéradec. Economie & management, n° 169, octobre 2018, p. 64-70.

Quelle prise en compte des pratiques langagières dans l’évaluation d’une explicitation de pratique ? Pour répondre à cette question (qui, soit dit en passant, est au cœur des enjeux de communication interpersonnelle chers à l’ESC), deux suggestions sont nécessaires :

1/ Se focaliser sur les messages structurant l’explicitation.

La « pratique explicitée » est une modalité d’analyse factuelle dans laquelle l’opérateur (qu’il soit apprenant ou professionnel) expose en conscience sa pratique et le rôle qu’y tient les apprentissages réalisés ; c’est une manière d’entrer dans l’explicitation des compétences et du raisonnement du jeune.

Une difficulté de l’utilisation en formation et en évaluation de la pratique explicitée est de trier les informations transmises par l’apprenant.e. afin d’y repérer les éléments d’énonciation révélant véritablement l’acquisition de compétences. Afin d’éclairer nos pratiques et postures d’enseignant dans cette situation, on pourra lire l’article de Nadine FAINGOLD [ESPE Versailles] (1998) « De l’explicitation des pratiques à la problématique de l’identité professionnelle : décrypter les messages structurants », dans Expliciter n° 26.

Suivant N. Faingold, si l’énonciation du procédural est ce qui permet d’exprimer des capacités, il convient d’en dissocier les informations satellites et l’expression simultanée du niveau expérimentiel des stratégies (= cadre pédagogique vécu) et le niveau sous-jacent (= expression personnelle de l’apprenant.e qui peut parasiter son discours) ; v. schémas ci-dessous.

2/ Se donner une grille d’écoute

« L’objectif d’une telle grille d’écoute est de servir la médiation de la verbalisation de « A », installée par le groupe de participants, en  facilitant leur questionnement en direction de sa pratique. Cette verbalisation l’aidant à « déplier », mettre à jour et mettre en ordre bien des actions ou éléments restés implicites, y compris pour lui-même dans la situation présentée ; ce qui peut aller jusqu’à des prises de conscience fortes sur ce qu’il a fait et mis en œuvre réellement… »

On se rapportera ainsi à Maurice LAMY (2014). Extrait :

Les exemples de questions qui pourraient être posées à « A » (citées en annexe), nous fournissent la plupart des éléments visés par cette écoute si particulière visant à relancer par des questions, la verbalisation de la pratique de « A ».

Lorsque l’on écoute, que peut-on entendre plus particulièrement pour relancer « A » et l’amener à davantage analyser ses propres pratiques dans la situation ?

  • les verbes d’action et notamment ceux qui contiennent des opérations de base restées implicites (ex. : « J’ai essayé de leur expliquer… »  ou : « Et là, je me suis dit que… »  ou encore : « J’ai préféré ne pas insister… »)
  • les prises d’informations faites par « A » dans sa situation, informations qui ont peut-être pesé sur ses décisions d’action (ex : « A ce moment-là, j’ai compris que… » ou : « A ce moment-là j’ai eu l’impression que j’avais vu juste… »… et encore : « Je sais qu’il faut faire comme ça !…»)
  • l’énonciation des pronoms, les «on» les «nous», les « ils» (« A » parle-t-il à la première personne, en « je » ?…).
  • les généralisations du style : « On sait bien qu’avec les élèves, il vaut mieux faire plutôt comme ci que comme ça… » ou encore les croyances : « Il faut présenter aux élèves des choses extrêmement structurées, si on veut qu’ils apprennent bien et correctement… »
  • le rapport qu’entretient « A »  avec ce dont il parle et la façon dont il en parle : est-ce un rapport enthousiaste, de conviction, d’hésitation, distancié, de certitude, impliqué, etc. ?
  • tout ce qui reste implicite dans la narration et les réponses de « A » concernant plus particulièrement ses actions, son «agir professionnel».
LAMY, M. (2014). « Quels liens entre l’Entretien d’Explicitation (EDE) et les analyses de pratiques professionnelles (APP) en groupe ? » In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, n°2.

Les CCF (ou ECCF en BTSA) fondés sur des pratiques explicitées sont possibles dans la plupart des diplômes. L’explicitation des pratiques s’applique à tout CCF « pratique » évaluant des capacités professionnelles ou sociales. Évaluer des capacités ne peut pas se limiter à évaluer la performance réalisée, c’est à dire aux éléments explicitables par un observateur (conformité des gestes, fluidité, aisance, rapidité, efficacité, autonomie….).

L’évaluation doit aussi porter sur les raisonnements de l’élève, qui éclairent ses choix, et sur ses prises d’informations et les connaissances qu’il mobilise. L’évaluation par la pratique explicitée permet de juger de la façon dont l’élève combine toutes ses ressources pour résoudre un problème donné : ces éléments nécessitent d’être explicités par l’élève. Il s’agit par exemple des prises d’information du candidat, des liens qu’il fait entre les éléments de la situation, de ses règles d’action (exemple : contrôle de la proxémie) ou de contrôle et de l’évaluation de son travail ou de sa relation à autrui, et de l’anticipation des effets de son travail ou de sa posture relationnelle, les suites ou effets qu’il prévoit…

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est %C3%A9l%C3%A9ments-explicitables-par-lacteur.png.

L’explicitation est un exercice difficile. Il n’est pas toujours évident, surtout dans une situation d’évaluation, d’expliquer comment on s’y est pris et pourquoi, sachant que l’enjeu est pourtant très important. Il est donc nécessaire de former les élèves à l’explicitation tout au long de la formation. L’analyse de vidéos peut participer à cette formation à l’explicitation, ainsi que l’instruction au sosie.

L’instruction au sosie diffère de la pratique explicitée en ceci qu’elle se déroule dans un cadre légèrement différent, mais c’est encore une méthode qui favorise l’auto-observation de sa propre activité afin d’expliciter et éventuellement de repenser des pratiques professionnelles. Elle se déroule entre pairs, et permet entre pairs de discuter des modalités d’évolution. Elle permet donc d’aller au-delà de ce que permet la pratique explicité, puisqu’elle vise aussi à la résolution de problèmes et à l’innovation.

L’instruction au sosie, c’est quoi ?
L’exercice d’“instruction au sosie” est une technique reconnue pour son efficacité dans les « sciences du travail » comme en sciences de l’éducation et de la formation.
Cette méthode d’entretien favorise l’auto-observation de sa propre activité, relativement la séquence de travail instruite, et elle autorise les professionnels ou les apprenants à en repenser leurs pratiques et à en définir entre pairs les possibilités de développement.
Le principe en a été mis au point dans le cadre de la formation continue au sein des usines Fiat par Ivar Oddone et publiée sous le titre Redécouvrir l’expérience ouvrière (Oddone & al., 1981). Ce principe repose sur un travail de co-analyse au cours duquel un professionnel (mis dans le rôle de l’instructeur) reçoit la consigne suivante : “Suppose que je sois ton sosie et que demain je me trouve en situation de te remplacer dans ton travail. Quelles sont les instructions que tu devrais me transmettre afin que personne ne s’avise de la substitution ?”.
Dans le cas de l’utilisation de l’instruction au sosie en formation initiale, l’activité première objet de la co-analyse est moins l’expérience professionnelle de l’instructeur à proprement parler (au sens où l’on dit d’un enseignant chevronné qu’il a de l’expérience) que la façon dont il fait l’expérience de l’entrée dans le métier. Cette expérience est en effet pour le débutant une épreuve, qui n’est pas seulement celle de la confrontation à une classe, mais aussi celle de l’immersion dans un milieu de travail, une école ou un établissement scolaire, porteurs d’une histoire et marqués par des manières de penser et de faire le métier, avec lesquelles il lui faut compter pour parvenir à inscrire et à faire valoir son propre travail dans le travail des autres.

L’objectif formateur est de conduire l’instructeur (c’est-à-dire l’apprenant placé dans le rôle de l’exécutant ou du cadre à “remplacer” par son sosie) à dialoguer avec lui-même par l’entremise des questions que lui pose le sosie, afin de l’amener à regarder son expérience et sa pratique avec les yeux de son “sosie”.

C’est donc le souci partagé de renseigner un sosie, et pas seulement un remplaçant, qui donne tout son sens à la précision des informations données et reçues, dans l’effort que consent l’instructeur pour permettre au sosie de bien saisir les détails des enchaînements et des justifications des actions, des postures et des processus réflexifs. En faisant expliciter ainsi les tenants et aboutissants d’une situation de travail et/ou d’interaction, le sosie permet à l’instructeur d’entendre et de percevoir son expérience autrement : c’est en se faisant lui-même instructeur que l’apprenant clarifie et analyse les processus qu’il est invité à expliciter.

Pour l’équipe d’Oddone, le travail d’instruction au sosie portait sur quatre domaines d’expérience professionnelle :

  • les rapports à la tâche,
  • les rapports aux pairs dans le(s) collectif(s),
  • les rapports à la hiérarchie,
  • enfin les rapports aux organisations formelles ou informelles du monde du travail.
Haut de page ↑  
Secured By miniOrange