Un bref aperçu de l’histoire du cirque permet de mieux saisir les différentes composantes de son évolution. Avec ou sans chapiteau, avec ou sans parole, avec ou sans animaux, avec ou sans théâtre, avec ou sans interdiction, le cirque est parfois mort puis est réapparu sous de nouvelles formes, restant ce qu’il a toujours été : un art à la croisée des chemins. Cette histoire, souvent peu connue, vaut le détour. BREF HISTORIQUE, POUR UNE SI LONGUE HISTOIRE… UN TOURNANT : LES ÉCOLES DE CIRQUE LE CIRQUE AU RISQUE DE L’ART Éducation à la pratique de cirque Bibliographie : LE CIRQUE À L’ÉCOLE
Vers 1345 ans avant J.-C. se produisaient des numéros de corde tendue en Chine, en Inde…Pendant l’antiquité, les jeux du cirque constituent le fer de lance de la politique impériale romaine. Ils contribuent à créer au même titre que les théâtres « la servitude oisive des villes ». Le plus grand cirque, le Circus Maximus, peut ainsi accueillir 385 000 personnes, pour voir les équilibristes, culbutes, écuyers, voltigeurs et autres chrétiens dévorés par les animaux sauvages. Ces cirques possèdent un caractère astrologique et symbolique. L’arène est le symbole de l’univers. L’obélisque en son centre y figure le soleil jaillissant ; les douze portes les constellations du zodiaque, les sept tours des pistes de char, les sept planètes de la semaine. Le cirque est une projection de l’univers et de la destinée humaine.
La chute de l’empire romain signifie la disparition du cirque. les bouffons, mimes et acrobates se dispersent et commencent à voyager, instaurant la notion d’artistes ambulants. Au Xème siècle, ils jouent sur la voie publique, aux foires notamment, mais, suite à l’excommunication des comédiens, ils sont interdits de la voie publique. Les artistes de cirque se joignent ensuite aux troupes de théâtre. Mais la réputation s’installe, au XVIIème siècle, que les lieux de représentation sont des foyers d’agitation. Le cirque se retrouve à la rue, dans l’illégalité.
C’est au XIXème siècle que le mot cirque réapparaît. Charles Dubbin compositeur et homme de théâtre cherchait un théâtre à construire, qu’il appela « Royal Circus ». Ce théâtre se voulait le concurrent de celui de Astley, qui avait instauré un cercle, enclos de cordes, comme lieu de théâtre extérieur pour acrobaties à cheval. Ce cercle consacrera un espace scénique inédit, berceau du cirque moderne. A noter qu’Astley recouvrira cet enclos, pour en faire un établissement de cirque fréquenté par la bourgeoisie et l’aristocratie et qu’il est toujours interdit de parler sur scène, sous peine de prison.
Début XIXème siècle, des cirques olympique ou d’hiver s’ouvrent, et des passionnés, non plus anglais mais italiens, représentent les familles héritières du cirque désormais classique. En 1864, une ordonnance sur la liberté des spectacles autorise les partenaires à échanger des paroles, entraînant duos, saynètes…les clowns, nouveaux venus, sont acteurs de parodie sociale ou s’en tiennent à puiser dans les faiblesses humaines. Parmi les nouveaux venus, on compte aussi les animaux. Mais le commerce engendré par l’exhibitionnisme des ménageries, posera des problèmes éthiques, qui demeurent de nos jours.
Durant cette période, le public permanent impose le renouvellement constant des programmes. Grâce au chapiteau en toile de tente, les numéros se rentabilisent puisque le cirque renoue avec la tradition du voyage. Ce voyage permet la rencontre de nouveaux publics tant en Europe qu’aux États-Unis.
Depuis le XVIIIème siècle, l’apprentissage du cirque se transmet par les familles. Certaines deviennent de véritables dynasties : Knie, Bouglione, Amar… Le but des entraînements acharnés est d’acquérir une technique parfaite, et une sûreté de mouvement. Les enfants doués apprennent tout d’un « père d’élève » ou maître. En URSS, en 1929, est créée la première école de cirque pour répondre à une certaine déshérence de la forme esthétique.
C’est seulement en 1974 que s’ouvre en France l’École Nationale du Cirque par A. Fratellini et P. Etaix. De leur côté, S. Monfort et A. Grüss font de même. Puis, en 1985, le Centre National des Arts du Cirque ouvre ses portes. La dénomination stipule déjà un changement de référence : le cirque devient un art multiple et revendiqué comme tel. Même si la première vague des cirques dits nouveaux possédaient une culture polymorphe de Savary à Mnouchkine, en passant par le body art et Pina Bausch. La seconde génération de cirques contemporains s’appuiera sur ces écoles.
On parle désormais d’accès démocratisé au savoir circassien, par affranchissement de la transmission clanique et décloisonnement des disciplines. Les artistes invités à former ou réaliser les spectacles de promotion, sont chorégraphes ou gens de théâtre contemporain. Ils encouragent l’aptitude à créer, modifier, transgresser, vivre la réalité de son art. On s’écarte des numéros codés minutés, pour acquérir au travers de la pluridisciplinarité, des moyens de s’intégrer à un projet artistique global. De nouvelles connaissances, techniques, imbrications, permettent de développer l’imaginaire et les postures. De nouvelles passerelles entre les arts vivants, des décalages, une nouvelle dramaturgie, un nouveau champ d’expériences artistiques apparaissent, intégrant la performance au jeu de « l’acteur de cirque ».
Parallèlement, les faillites des grandes familles traditionnelles du cirque montrent combien certaines formes spectaculaires sont à bout de souffle. En 1978, le Ministère de la Culture affranchi le cirque de ses liens avec le Ministère de l’Agriculture, en lui accordant un véritable statut culturel. Des cirques pourtant classiques se mettent à la création de nouvelles esthétiques moins voyantes et tapageuses. Des festivals se créent, permettant l’émergence de nouveaux talents. On assiste donc à un renouveau du cirque, qui revisite ses propres signes, sens, codes de représentations…Le cercle mythique est parfois brisé, le chapiteau reconstruit (volière Dromesko…), le lien avec le spectateur est recréé par l’émotion, la poésie (cirque Plume…), la musique et les images font l’objet de re-mises en scène (Archaos…).
Le cirque reposait sur l’alternance, de rire, de peur, d’émerveillement. Il est désormais un métissage où peintures, sculptures, vidéos, littérature… sont conviées. Le cirque, en redéfinissant son espace, « transcende le vocabulaire artistique, acrobatique et clownesque ». Mais le mythe de la vie errante séduit aussi de nouveaux acteurs, qui y retrouvent un sentiment de communauté. Le cirque a fait un choix de nouveaux territoires esthétique, éthique (plus de dressages d’animaux), et artistique. Bref, le cirque mérite toujours l’appellation d’ « art à la croisée des chemins ».
Quand on pense qualifier le cirque, on pense à la prise de risque du jongleur, de l’acrobate, de l’équilibriste. Ce corps connaît déjà au théâtre le risque puisqu’il y est « en jeu », comme il l’est dans la danse, dans un incessant travail de tension. Au cirque, ce corps est « en suspend » ; il sert à focaliser la dérision de l’existence, à ébranler la vanité des statuts. « C’est ce qui nous reste du besoin de vertige, quand on ne connaît plus que le destin des assis », comme l’écrit Gérard Macé. De plus, l’instabilité des corps et des objets renvoie à un mode de vie précaire et au statut fragile de l’art. Son apprentissage peut se concevoir en quatre étapes : découverte, contrôle d’une figure, maîtrise et virtuosité. Quel que soit l’exercice, l’expression du déséquilibre fonde l’hypothèse d’une esthétique du risque. La mise en déséquilibre délibérée de soi correspond à un état de crise de soi. Et si tout art ne procédait pas d’une crise ?
Le cirque est fait d’emprunts et de mélanges, à commencer par le théâtre : des techniques de cirque se sont mises au service des arts de la rue. On assiste parfois à un processus de cirquisation du théâtre ; la jonglerie vient à l’aide de la dramaturgie (à l’instar de certaines pièces du théâtre su soleil)…ou encore le cirque peut être théâtralisé, comme c’est le cas du théâtre équestre de Zingaro, pour la Cie Que-cir-que, ou les récits de représentations…Ces passerelles cirque et théâtre sont anciennes, puisque Meyerhold a essayé de cirquiser le théâtre afin de lui insuffler plus d’émotion car, contrairement aux circassiens, les troupes de théâtre ne risquent que des sifflets ! Il en faisait aussi l’éloge du courage, de la précision, de la fantaisie, et de l’énergie créatrice.
La danse représente aussi ne source importante d’inspiration pour le cirque et inversement. Car l’un et l’autre s’occupent d’exprimer d’abord par le corps, en vol, en suspension ou en déséquilibre. Pina Bausch et d’autres s’y sont intéressés, car, comme en chorégraphie, l’image optique devient poétique en fonction de la synthèse des rapports entre son corps, d’autres corps, les objets avec lesquels il est en relation, et l’espace dynamique ainsi crée. Danse et cirque ont aussi connu un parcours similaire des techniques incontournables dites classiques à des lieux ouverts d’expression et de liberté tel que le sont les scènes aujourd’hui. Enfin tous deux sont des arts non verbaux où le corps sert de parole, d’interprétation sensible, malgré de mêmes pratiques corporelles exigeantes.
Cette volonté de retrouver un théâtre fait par des interprètes complets (et non des écrivains !), rappelle que celui-ci s’est spécialisé verbalement, car les comédiens savaient avant le XXème siècle danser et chanter ! Dans la commedia dell’arte, l’acrobatie était d’ailleurs de mise. Ainsi le cirque fait penser à l’oeuvre d’art totale imaginée par Wagner, qui concernait tous les arts, petits ou grands, et leur mise en scène ou mise en « mouvement ». C’est de cette manière que Meyerhold caractérisait le travail de l’acteur-jongleur seul capable de déplacer son centre de gravité et de créer la surprise.
Le cirque d’aujourd’hui est plus espace de performance que de prouesse. Car la prouesse jaillit d’une réalisation sclérosante de numéro, alors que la performance est le fruit d’une charge intentionnelle ; celle de dire quelque chose au public. Ainsi la non réussite d’une technique n’est pas vécue comme un échec « cuisant », mais comme une erreur à assumer et à reprendre en toute responsabilité. De nouvelles manières d’accueillir la chute, par exemple, permettent d’effacer la représentation de culpabilité (lié au mythe de surhomme), et puiser dans l’imprévu pour réellement jouer.
L’impératif est de jouer, faire semblant de jouer, mimer le jonglage. La performance, c’est ainsi l’objet qui manipule le jongleur ! Le cirque devient art de la métaphore. Le sens, comme dans un collage, vient de la tension entre divers éléments. L’art de la piste est une poétique enfin visible, fonctionnant par analogie et non logique, comme dans l’écriture contemporaine. Les langages du cirque contemporain renvoient à la complexité de l’être et à sa fragilité. Le corps y est matière de travail et non objet de magnificence costumée !
S’enquérir d’éduquer aux arts du cirque sans passer par la pratique reviendrait, comme l’a affirmé Martha Graham, à s’adresser à l’esprit et non au corps. Ceci constituerait une erreur. Car sa découverte, pour être réelle, doit passer par la pratique corporelle. Ainsi, la mise en déséquilibre délibéré de soi requiert et permet l’acquisition de capacités neuromotrices. Ces capacités s’accompagnent aussi de capacités d’expressions émotionnelles, comme sauter de colère, s’envoler de joie, ou jongler pour rattraper une situation. Brecht y voyait, par ailleurs un moyen de développer la conscience de soi.
Pour les adolescents, la pratique permet un nouveau rapport au monde, qui rompt avec les perceptions coutumières et les démarches dominantes. Cela signifie un nouveau rapport au temps et à l’espace qui n’est ni le lieu de la société, ni la configuration de la nature. C’est un véritable retournement de la nature privé de ses repères et de ses boussoles. C’est une fiction qui mène à la réalité et à la symbolique de l’art. Une humilité des leçons de vie difficile de donner de façon normative, et qui impose : maîtrise, persévérance, énergie, discipline… autres types de comportements que ceux qui dominent habituellement, que ce soit dans la société ou à l’école, ou qui, en tout cas, font preuve de faiblesse.
Après avoir essayé de définir la spécificité du cirque, voyons ses capacités créatives :
Le goût de l’effort est accru. Au cirque, il n’y a pas de réussite facile. La mise en œuvre de compétences nouvelles (comme rouler sur un monocycle), sans utilité que leur propre réalisation, permet de se déconnecter de toute inscription sociale connue. Cette absence d’objet permet de développer la persévérance, pour le plaisir.