Systémique de la pédagogie du groupe

La Facilitation Systémique de Processus Collectifs, une pédagogie du groupe

Cette page proposée par le GAP ESC présente une progression pédagogique et une relecture de l’article « Facilitation Systémique de Processus Collectifs en 2nde professionnelle », publié par Corinne Covez dans le n° de 2018 de la revue Année de la Recherche en Sciences de l’Éducation / Association francophone internationale de recherche scientifique en éducation. Elle rend compte d’une expérimentation de Facilitation Systémique de Processus Collectifs a été menée en classe de 2nde professionnelle, visant à développer l’autonomie, le travail de groupe et l’esprit collectif. Le déroulement et l’outillage théorique (théorie systémique et pédagogies) dont elle fait état permettent de mieux cerner le processus de cette mise en travail par la Facilitation Systémique de Processus Collectifs (Fuks, 2013). Sauf mention contraire, les citations sont extraites de cet article.

Le contexte :

Corinne Covez source son approche dans l’histoire de l’ESC : «mes recherches-actions en pratique artistique avaient développé en moi la prise de conscience puis conviction qu’apprendre en groupe devait être encore plus au centre de ma pratique de professeure et surtout plus finement accompagnée et mise en place. Rejoignant en cela les fondements de l’Education nouvelle dont est issu ce métier et dont Pierre Harvois créateur de l’ESC faisait le vœu que nous en devenions les « fonctionnaires ». Ainsi les jeunes de 2nde arrivant ici de l’Education nationale découvrent cet enseignement et son champ d’actions qui s’adapte suivant les opportunités ou envies des professeurs. Et l’action se déroule dans le cadre du module pluridisciplinaire consacré à « l’initiation aux formes d’expression et de communication pour participer à la vie sociale et culturelle locale » qui se termine par un CCF Contrôle en Cours de Formation. L’observation depuis des années m’a aussi convaincue de la nécessité d’œuvrer au mieux pour relever leur estime de soi, les sortir de ce mal-être voire désespérance de jeunes issues de classes non favorisés. Une nécessité d’agir autrement avec et pour eux s’est donc affirmée dans une véritable dimension politique de les encourager à communiquer, se prendre en main et se représenter. »

Dans ce contexte, l’utilisation de la Facilitation Systémique de Processus Collectifs (FSPC) a été envisagée « comme support d’apprentissage privilégié préparant un travail de création artistique. Observatrice-participante, la professeure a écrit son journal de recherche à partir des observations de terrain agrémentés des dessins et autres phrases réalisés par les jeunes. Des entretiens (…) de fin d’année ont permis de revenir sur l’expérimentation. »

« En premier lieu, il s’agit de rappeler que le rôle du facilitateur est bien de se mettre à disposition du groupe notamment à travers ses ressources personnelles et techniques, pour aider à augmenter l’efficacité et l’efficience du groupe dans sa résolution d’obstacles afin de concrétiser ses objectifs. Il accompagne donc un dispositif expérimental mis en place avec la participation des jeunes, leur action, en vue de se préparer à une situation-problème, tout en vivant un processus de communication interne au groupe. Son caractère est donc instituant. »

Pour sa part, l’initiateur de la FSPC, Saul I. Fuks (2013), professeur de psychologie clinique, sociale et communautaire à l’Université de Rosario en Argentine, introduit sa proposition par ces réflexions :

« Qu’est-ce qu’un Facilitateur ? Faciliter a pour but de déjouer les difficultés ou les obstacles, rendre les choses plus faciles ou plus fluides, assumer un ensemble de fonctions ou d’activités, avant, pendant ou après une rencontre ou une réunion. En résumé, un Facilitateur est quelqu’un qui aide un groupe de personnes à définir ses objectifs communs et qui accompagne leur réalisation sans prendre parti dans la discussion.

Le Facilitateur se propose, ainsi, d’aider le groupe à atteindre un consensus face à tout désaccord qui surgit avant la rencontre ou pendant celle-ci, avec pour objectif que se construise une base solide pour de futures actions. La mission qu’un Facilitateur assume comme étant « le sens » de son travail est de mettre à disposition ses compétences pour la création d’organisations flexibles, créatives, adaptables et résilientes dans lesquelles les personnes sont vues comme une richesse et non comme un problème. Les idées et les apports de la science actuelle, sur le chaos, l’auto-organisation, la complexité, le hasard, l’interdépendance, les réseaux et l’émergence de nouveauté soutiennent cette position du Facilitateur et fortifient la congruence de ses actions ».

La pratique artistique :

C’est la dynamique sur laquelle s’appuie la pratique en ESC de Corinne Covez. « Une représentation de pratiques d’arts vivants fut choisie par la classe afin de développer les capacités expressives en théâtre, cirque, musique suivant leur désir (…). Les séances se tenaient chaque semaine pour un groupe sur deux et tous les quinze jours pour la classe entière. Ceci a permis de faire découvrir cette méthode de manière à la fois « douce » et régulière en groupe puis classe. Deux thèmes furent abordés : la discrimination (du à une intervention artistique financé par la région, qui en réalité n’eut pas lieu), puis le partage (thème du Rendez-vous). »

Les élèves ont abordé l’activité en binômes : « les jeunes se regroupent par deux et que chacun raconte une situation vécue ou observée de discrimination (puis en janvier de partage) à l’autre et réalise un dessin. Le binôme échangeait ainsi une part de vécu. Dans le même temps chacun définissait à sa manière la notion avant que le binôme ne se mette à partager et créer ensemble une nouvelle définition et un dessin commun. Les jeunes présentaient la quinzaine suivante le fruit de leur travail et cette fois un petit groupe devait réaliser la même tâche, puis le grand groupe et la classe tout au long des semaines. »

Quelques enjeux :

  • Les mettre au travail…
  • … mise à l’épreuve pour certains, murés dans le mutisme
  • obligation à jouer le jeu…
  • … engagement
  • respect de l’écoute et des paroles…
  • … ne pas décider pour les autres…
  • … et les amener à se mettre en avant.

« Faciliter n’est pas tâche facile et l’excentration peut être vécue comme périlleuse mais heureuse. »

Qu’est-ce que faciliter ?

« (…) faciliter, c’est assurer un poste à la fois externe au groupe qui se régit et s’organise en autonomie en fonction des règles qu’il se donne peu ou proue. C’est aussi se situer à la marge mais assez proche pour qu’une proposition puisse être émise, sans jugement, de manière à faire avancer le groupe dans son effort de structuration et autonomie. » Et « rappeler que tout le monde a droit à la parole, à s’exprimer et s’emparer des marqueurs et du tableau pour écrire et dessiner ou signaler qu’il serait temps de passer la parole. »

« À tout le moins la facilitation participe à créer un espace, un lien, un rapport nouveau d’impression, expression de sentiments qui ouvre la possibilité de se libérer de ses interrogations. Une expression libératrice, parfois de surcroît fédératrice et émancipatrice, qui dans le contexte d’un horizon de réussite sociale bouchée pourrait bien se révéler quelque peu porteuse de responsabilité et d’espérance à pouvoir agir sur la réalité. »

Corinne Covez se réfère aussi à Carl Rogers (2005) « qui considérait l’enseignant comme un véritable « facilitateur d’apprentissage » sachant instaurer un climat de sécurité et de travail créatif dans l’expérience d’apprentissage d’un apprentissage collectif exigeant mais ré-assurant. »

Le rapport entre enseignant-e et élève(s).

L’enseignant-e, pour faciliter, doit aussi signifier sa confiance dans leur fonctionnement du groupe et dans le déroulement des opérations, ce qui est important « pour les autoriser à être » ou « s’auteuriser ». Pour cela, il faut :

– « Devenir une ressource que l’on appelle pour savoir comment se sortir d’une situation de groupe est tout aussi émouvant que vivifiant. Partager son sentiment face à une situation qui semble bloquée ou échapper à leurs auteurs est tout aussi enseignant ! Tenir ce fil tendu qui va de l’éloignement vigilant à un retour vers un questionnement, une interpellation, exige une écoute concentrée et attentive à ce qui se dit, ce qui se vit sans intervenir de suite, retarder ou laisser agir jusqu’à un point qui semble le retour de sa responsabilité personnelle sans interférer mais réinterroger pour mieux accompagner. »

– « (…) préparer et répéter à chaque séance le climat souhaité de l’expérience ainsi que son but permet d’instaurer ce travail hors du commun scolaire où « on n’écrit pas dans son cahier » et pourtant on fait ! » – faire l’ « apprentissage d’investissement et de présence intenses : la part d’affectif, d’intelligence relationnelle, de sentiments, d’interaction émotionnelle attentive à la sécurité, la bienveillance et sauvegarder l’expression tout en conservant plaisir, désir et sérénité, particulièrement signifiant dans ce contexte.

– faire un « un apprentissage d’investissement et de présence (…) : la part d’affectif, d’intelligence relationnelle, de sentiments, d’interaction émotionnelle attentive à la sécurité, la bienveillance et sauvegarder l’expression tout en conservant plaisir, désir et sérénité, particulièrement signifiant dans ce contexte. »

Paroles d’élèves :

Avec le rapport de présence particulier qu’induit la facilitation systémique de processus collectifs, les élèves sont en mesure de conscientiser la dynamisation qui leur est suggérée. Ils témoignent alors de leurs ressentis :

« Madame avec vous on s’ennuie jamais, on fait jamais la même chose ! »
« En fait, faut se donner une méthode ! »
« C’est pour ça qu’on vit ensemble ! »

Ils soulignent aussi dans les entretiens menés par l’enseignante-facilitatrice-chercheuse : « la capacité à s’exprimer et avec plus de personnes, une volonté à travailler, parler à tout le monde sans avoir peur, dialoguer de plus en plus et en s’écoutant, la parole qui joue beaucoup pour avancer, être obligé de se dévoiler et diminuer son pouvoir sur les autres. » Ou : « les racistes, ceux qui discriminent, ont pas osé s’exprimer ! ». Et : « en groupe c’est mieux que tout seul, on est entendu, on accepte, on partage des idées », ou : « ça a développé la capacité de s’assumer ! ».

Le travail en FSPC

« Le but de la facilitation systémique (Fuks, 2013) est d’apprendre à des collectifs à coopérer en autonomie, tout en étant accompagné par un tiers qui met en avant les difficultés, progrès et processus de l’apprentissage en commun. Durant la séance, un thème est proposé, servant de base de questionnement central sur lequel chacun est invité à réfléchir. Puis des conversations de type intime se réalisent en binôme puis en groupe de taille de plus en plus importante jusqu’au forum. La création d’un sens s’effectue donc de manière collective et par étape — validant l’expérience de chacun — et s’accompagne d’une prise de conscience de vécu commun. L’espace de conversation publique créé a pour vocation de faire émerger un sentiment de « communauté » ou groupe. »

Le questionnement est « comment inclure l’observateur dans ce qui est observé. En effet il s’agit moins de se centrer sur le contenu que sur le processus. (…) L’objectif consiste ici à promouvoir une intelligence et créativité collective grâce à l’apprentissage d’un processus à la fois social, non dirigiste et complexe. Le facilitateur est alors essentiel puisqu’il a pour rôle de tendre un « miroir d’intelligence » du et au groupe, car il accompagne, impulse, propose des scénarios ou alternatives, encourage, régule, laisse émerger une auto-évaluation, relève les résistances… bref promeut à la fois le groupe et la créativité. Se souciant et prenant soin du processus, il mène les participants qui créent et s’approprient outils, formes d’évaluation et auto-facilitation, à tendre et atteindre le concret d’objectifs visés. »

« Un groupe est à prendre en compte au-delà de ses membres pour accéder à sa totalité qui se transforme et se règle par le jeu des interactions. Le changement au travail à l’intérieur d’un groupe aboutit alors à la conduite d’une reproduction ou encore à un changement réel de type recadrage. (…) On peut alors prendre en considération la logique de communication à l’œuvre (…). Le sujet ne saurait être ici épuisé, mais il nous parait cependant utile d’éclairer en quoi une expérimentation par un groupe peut représenter un essai de levier de transformation de l’intérieur dans le système éducatif. »

Pour conclure…

« Le but de cette expérimentation a été de retrouver le sens d’une éducation en ce début de XXIème siècle où la coopération peut et doit continuer de s’apprendre, pour relever des défis tant économiques, sociaux qu’écologiques ou politiques. Sallaberry (2017) s’en soucie dans une approche systémique et institutionnelle qui souligne, entre autres, qu’il s’agit non de discourir mais de former les citoyens. (…) Travailler la facilitation systémique en collectif revient alors à faire vivre en verbalisant et conscientisant un processus concret de coopération qui participe à former des citoyens, dont la parole libérée, légitime et permet de se reconsidérer. »

Nourri de pédagogies institutionnelles mais aussi de Freinet qui fait appel à un « éducateur d’abord un homme socialement éduqué et actif », et dans la visée de « créer et entretenir un terrain favorable au travail pédagogique », l’enseignant-e pilote la classe dans une posture d’observation-participante, en fonction de laquelle « les mises en débat, négociation, expressions libres de soi (autre thème qui plaît aux jeunes), situations-problèmes issues de la création de saynètes et mises en scène dans une pratique artistique au tâtonnement tout aussi expérimental avec prises de responsabilités… constituent autant d’approches si ce n’est de techniques constructives et libératrices. »

Après avoir formulé des préventions que rejoignent les observations-participantes de Corinne Covez, Saul I. Fuks (2013) conclue : « Dans notre mode de travail, les facilitateurs co-construisent un cadre dans lequel les participants d’une activité créent et partagent une identité commune locale, convergent pour définir une conception autour de la fonction sociale, définissent une manière de faire les choses, imaginent une vision de l’avenir et anticipent quelques uns des chemins qui pourraient conduire à un avenir meilleur. »

Progression pédagogique en 2nde Pro

Fiche pratique : proposition de séquence pédagogique incluant objectif, postulat et diverses considérations pédagogiques.

L’auteur :

Corinne Covez, ingénieur pédagogique à l’Institut d’éducation à l’agro-environnement de Florac (Montpellier SupAgro), était précédemment enseignante d’éducation socio-culturelle dans les Hauts-de-France, membre du GAP ESC et chercheuse en sciences de l’éducation à l’université de Lille, pratiquant des recherches sur divers types d’action pédagogique propres à mettre au travail ces jeunes de manière concrète, avec pour objectif l’apprentissage de l’autonomie et du fonctionnement de groupe. Elle a notamment abordé les pratiques de cirque et d’orchestre, et son outillage théorique est systémique mais aussi pédagogique (pédagogie institutionnelle et Freinet). Elle se définit comme une « praticienne-chercheuse se sentant avant tout facilitatrice » pour qui l’accompagnement est une partie intégrante du métier d’ESC, « pour des projets de toute sorte développés dans toutes les classes quelque soit le niveau et la filière et même hors classe pour assurer le fonctionnement de l’association des jeunes, ALESA ». Elle a notamment publié : Covez C. (2017), Le cirque, une école du vivre, Paris : L’Harmattan.

Quelques pistes bibliographiques

Covez, C. 2018, « Facilitation Systémique de Processus Collectifs en 2nde professionnelle », in Année de la Recherche en Sciences de l’Éducation / Association francophone internationale de recherche scientifique en éducation « Coopération, éducation, formation. La pédagogie Freinet face aux défis du XXIe siècle », n° de 2018. (L’Harmattan éd.) URL : https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=article&no=34376

Fuks S.I., 2013, « FSCP: La Facilitation Systémique de Processus Collectifs »(article publié sur Academia.edu). URL: https://www.academia.edu/26537722/FSCP_La_Facilitation_Syst%C3%A9mique_de_Processus_Collectifs_Le_Facilitateur_un_artisan_de_contextes_focalis%C3%A9_sur_la_promotion_de_processus_de_cr%C3%A9ativit%C3%A9_collective_1

Lémery J., 1996, « La pédagogie Freinet, est-ce une méthode ou une organisation systémique ? », in Le Nouvel Éducateur, septembre, p. 5-14. URL : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/12865

Rogers C., 2005, Le développement de la personne, Paris : Dunod Inter Editions.

Sallaberry J-C., 2017, « L’hypothèse de l’autonomisation des grands sous-systèmes et les risques pour la démocratie », in Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 10 | 2017, mis en ligne le 01 janvier 2017, consulté le 30 mai 2017. URL : http://rfsic.revues.org/2823 ; DOI : 10.4000/rfsic.2823 

Sallaberry J-C., 2012, « Pédagogies nouvelles : quelles conditions de possibilité ? », in Année de la Recherche en Sciences de l’Éducation / Association francophone internationale de recherche scientifique en éducation « Conditions pour l’éducation et perspectives pour l’éducation nouvelle », n° de 2012, p 63-86. (L’Harmattan éd.)

Sallaberry J-C., 1998, Groupe, création et alternance, Paris: L’Harmattan.

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